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le chou est salé. Ce n’est que d’une institution qui plonge dans l’éternité qu’on peut parler aussi carrément, aussi simplement.

La civilisation, bien loin de détrôner ce mets de nos ancêtres, lui a ouvert les cuisines de Paris, et le feu duc d’Orléans prétendait que la guerre de l’indépendance grecque n’avait été faite que pour procurer à l’Europe le plaisir de voir manger de la choucroute au pied du Parthénon. Le médecin français Maugue doit en éprouver quelque confusion dans l’autre monde, où il est depuis un siècle et demi, lui qui écrivit cette phrase un peu leste sur les Alsaciens : « Ils font aigrir de ces gros choux pommés après les avoir fait hacher ; ces choux font les délices de la table et la principale nourriture des naturels du pays[1]. » Et le docteur ajoute que le dur stockfisch est le seul aliment qui peut disputer avec quelques succès à la Surgrout les sympathies des estomacs alsaciens. Nos anciens épiçaient, plus fortement que nous ne le faisons, cette conserve végétale. Leur recette était plus riche que la nôtre. Je crois que nous n’en avons gardé que les baies de genévrier, et je suis tout à fait certain que nous en avons proscrit la graine d’aneth. Chez les pauvres la sarriette faisait presque tous les frais de ce condiment. La choucroute était déjà alors le mets consacré du dimanche, et il était accueilli avec un plaisir tout particulier lorsqu’il apparaissait avec l’ornement d’un puissant chapelet de saulsisses qu’ils aiment beaucoup et qu’ils y mettent en quantité, ou bien, lorsque, suivant l’expression pittoresque d’un écrivain du seizième siècle, le cochon l’avait traversé (wann die Sau dadurch geloffen ist).

Legrand d’Aussy ne parle point de ce mets, mais il lui rend indirectement hommage en remarquant que de son temps déjà le chou de Strasbourg était compté parmi les espèces les plus renommées[2].

La choucroute avait pour pendant la conserve de navets, moins ancienne et moins populaire que la première. J’en ai cependant

  1. Histoire naturelle de la province d’Alsace, mss., t. Ier, p. 129.
  2. Vie privée des Français, t. Ier, p. 181.