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siècles passés saluaient avec transport le joli mois de mai qui leur apportait les racines nouvelles du chervis tout exprès pour les mêler à la pâte de l’omelette ; que le cumin passait pour un assaisonnement délicieux dans la soupe aux pois ; que le cresson d’hiver jouissait de la renommée de rendre leur gaîté et leur vigueur aux buveurs fatigués et vaincus ; et qu’une tranche de coing frit ramenait la plus douce sérénité dans les têtes troublées par les fumées orageuses du vin. Mais ce n’est pas le moment de s’occuper de ces détails. Je me dois à des sujets plus importants.

Et d’abord à la grave préoccupation qui signalait l’entrée de l’hiver, à la préparation de la choucroute, espèce de grand œuvre de la chimie culinaire de l’époque. La rude et mangeuse Germanie a seule pu inventer cette âpre et vigoureuse conserve. Je crois donc que François de Neufchâteau (qui s’attendait à voir un homme d’État en pareille affaire (?) se trompe[1] lorsqu’il conjecture que l’idée de la choucroute pourrait bien être venue de la sauce dont Columelle conseillait l’emploi pour garder les ognons[sic], laquelle sauce était composée de thym, de sarriette, de trois parts de vinaigre et d’une part de saumure. J’avoue que je n’ai pas pu remonter à l’origine de ce mets, et la raison en est tout simplement que la choucroute n’a pas d’autre origine que l’Alsacien lui-même. L’habitant et le mets sont aussi anciens l’un que l’autre, conséquemment perdus dans la même nuit profonde des temps qui couvre aussi le chou pommé blanc. Cependant, pour ceux à qui une date quelconque pourrait faire plaisir, je remarquerai que le Kreutterbuch de Jérôme Bock, réédité à Strasbourg en 1577, par le docteur Melchior Sebizius, parle de la choucroute comme d’une chose comprise depuis longtemps dans le domaine de l’alimentation vulgaire. Lorsqu’il énumère les travaux d’hiver de la prévoyante ménagère, il se borne à cette mention significative dont le laconisme éloquent est le plus sûr témoignage de l’antiquité de la choucroute : « Der Cappes ist eingesaltzen. » Vous l’entendez,

  1. Olivier de Serres, Théâtre d’agriculture, t. II, p. 443, note.