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À Cornimont, dans la vallée de la Bresse, on a encore renchéri sur ces singuliers usages. La jovialité des Lorrains trouve moyen de s’exercer jusque dans les veillées des morts. « On se livre près du lit mortuaire à une folle joie et à des jeux bruyants excités par une grande quantité de tranches de pain grillées et trempées dans du vin chaud, et de liqueurs fortes[1]. »

L’exécution des criminels était même, dans certaines contrées, une occasion de profits gastronomiques. À Montbéliard, les ministres, le maire, les neuf bourgeois jurés et les quatre chesels recevaient pour salaire de leur assistance au supplice des condamnés, chacun : 1 franc 10 gros et 2 blancs, plus quatre channes de vin, une livre de figues et une livre de raisins secs. Le greffier, le tue-chiens et les autres agents subalternes touchaient aussi quelques gros et quelques channes de vin. Les neuf bourgeois se rendaient, en outre, au cabaret et y dépensaient communément trois florins à la charge de la ville[2].

Je ne pense pas que chez nous l’on ait eu l’idée de régaler les autorités qui avaient vu décapiter, noyer, pendre ou brûler des misérables. La bonhomie germanique avait un meilleur cours. Elle s’émouvait de pitié et avait un tressaillement de charité pour le malheureux que la loi dévouait au supplice. Lorsqu’on menait le condamné au Galgenbühl, hors de la porte de Saverne, à Strasbourg, on lui faisait faire en chemin une station dans la maison des pauvres pécheurs (Armensünderhaus), et là on lui servait une collation suprême pour l’affermir contre l’horreur de la mort. Plus loin, dans une chapelle, un prêtre disait la dernière messe, la messe des morts, pour l’homme déjà retranché de la vie, et il recevait en retour de ce pieux office rendu à l’agonisant, un dîner[3] que le Pfennigthurm payait.

Celui qui parcourrait nos vieilles légendes verrait que les trépassés

  1. Richard, loc. cit., p. 115.
  2. Société d’émulation de Montbéliard, année 1854, p. 103.
  3. Piton, Strasbourg illustré. Faubourgs, p. 127.