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chaleur dans la poitrine et que la digestion des viandes se fait fort promptement dans l’estomac, en sorte que cette passion est utile pour la santé. » Berchoux nous a laissé le poëme de la Gastronomie. Le Pâtissier français de 1655, un elzévir introuvable, était le plus précieux bijou de la bibliothèque de Charles Nodier. L’Art de la cuisine française au dix-neuvième siècle, en 5 volumes in-8°, s’il vous plaît, par Carême, chef des cuisines de la maison Rothschild, cette sixième grande puissance de l’Europe, et Plumery, cuisinier du prince de Talleyrand, est une véritable école normale, la Somme définitive de cette science et bien plus utile que celle de saint Thomas d’Aquin. Enfin, existe-t-il une création littéraire plus charmante, plus originale, plus spirituelle que le livre de Brillat-Savarin, si rempli d’érudition et de goût, si parfumé de douces consolations et de bonne philosophie ? Quand nous serons devenus à notre tour l’antiquité, dans une vingtaine de siècles, que l’humanité d’alors n’aura que faire de nos sciences à peine naissantes, les méditations de Brillat-Savarin seront un des quatre ou cinq volumes qu’on lira encore quelquefois, tandis que je suis bien sûr que personne n’ouvrira plus la Chimie de Gay-Lussac, ni le Répertoire de Dalloz.

Notre satirique Sébastien Brant a donc eu tort de placer un cuisinier dans sa Nef des fous. Il devait y mettre tous ceux que nous y voyons, depuis les méchantes femmes jusqu’aux astrologues ; mais il devait se garder de faire figurer dans sa Narragonie (pays de la folie) et d’affubler du bonnet de la démence le représentant de l’art qui console des impuissances et des déceptions de tous les autres. Si Brant avait connu les charmes de la dinde truffée, des délices de la carpe à la Chambord ; s’il avait aspiré la suavité d’une meringue à la vanille, trempé sa lèvre aux liqueurs qui furent inventées pour faire vivre plus longtemps Louis XIV ; s’il avait goûté les voluptés de la fève arabique et du havane qui mélangent si doucement la pensée et le rêve ; si Brant avait su qu’une reine d’Angleterre laisserait son nom à un grand nombre de préparations et qu’on dirait after queen’s Ann fashion, comme on