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des foyers de l’opposition alsacienne, sous la Restauration. La charte y a été célébrée plus qu’en aucun lieu de la France, et si le champagne bu à sa perpétuité avait été employé à arroser ses racines naissantes, les Bourbons régneraient encore. Le général Foy, Benjamin Constant, M. Barthe, Voyer d’Argenson, tous les beaux noms de l’époque, y ont prononcé des discours et tenu les grands jours du libéralisme français. Avant de gouverner les Deux-Clefs, M. Rieffenach tenait la Couronne à Wissembourg. Il y accomplit un de ces exploits de bravoure professionnelle qui est digne d’être sauvé de l’oubli.


C’était en 1815. L’Alsace était occupée par les troupes de la Sainte-Alliance. Le duc de Wellington avait ordonné une grande revue militaire à Reichshoffen ; une armée d’officiers devait être présente dans ce bourg. Le chef d’état-major du duc avait chargé M. Rieffenach de tenir prêt pour le jour de la solennité un banquet de quinze cents couverts. La veille du jour fixé, M. Rieffenach est à Reichshoffen ; le service, la vaisselle, les provisions, les vins, le dîner, tout est prêt, tout est en ordre ; il ne reste qu’un dernier coup de feu à donner ; le prince peut arriver avec ses quinze cents officiers. Dans l’après-dînée les invités du lendemain commencent à affluer ; Reichshoffen est inondé d’une troupe d’officiers exigeants et affamés ; ils réclament à dîner. M. Rieffenach se défend et se couvre du nom du généralissime. Il n’y a rien de disponible ; tout appartient au prince. Grand émoi. Quinze cents épées qui ont faim d’un côté, un pacifique maître d’hôtel bien pourvu, mais inflexible comme le destin, de l’autre, la situation était extrêmement tendue. Cependant le nom de Wellington contenait la sédition prête à éclater. Un incident bouleversa tout. Parmi les arrivants se trouvait un vieux major allemand, ancien commensal de la Couronne de Wissembourg. Il supplia si bien son hôte de ne pas le laisser mourir de faim, que M. Rieffenach condescendit à lui servir une volaille. Cet acte de partiale charité fit évanouir le charme du talisman dont M. Rieffenach s’était couvert jusque-là. La volaille octroyée au major devint le signal d’une révolte générale. Le dîner de Wellington