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La nappe est un progrès des siècles. Les anciens ne la connaissaient point, et il est plaisant de voir Perrault, dans la querelle des anciens et des modernes, nous trouver supérieurs aux Grecs et aux Romains, par cette raison que nous mettons des nappes sur nos tables, et qu’ils n’en mettaient point.

Les serviettes sont beaucoup plus jeunes. Montaigne « souffrait de la difficulté de n’avoir à table qu’un petit drapeau d’un demi-pied ». C’était, en effet, trop peu de chose, mais qui suffisait et au delà à la propreté des Suisses, « car le mesme drapeau, les Souisses ne le déplient pas seulement en leur dîner[1] ». Quand l’usage des serviettes raisonnables vint à se généraliser, on prit la peine de le remarquer. Le rédacteur du Götter-Both de 1674 nous révèle que l’on en donnait dans les auberges de Bâle[2] ; le mot est écrit en français ; la serviette est donc encore un des triomphes de la civilisation française. Les gens riches et les personnes de qualité qui étaient en bonne position de fortune achetaient leur linge de table d’apparat en Flandre ou en Saxe ; les maisons modestes se pourvoyaient dans le pays, et les gens du commun faisaient leur toile eux-mêmes. M. de Klinglin s’approvisionnait à Courtray. « Un jour, dit Beck, il me proposa un voyage à Courtray pour lui faire faire douze douzaines de serviettes plus larges que d’ordinaire et six nappes pour une table de vingt-quatre couverts, toutes travaillées à ses armes[3]. » La coutume ou plutôt l’art de plier le linge selon des formes diverses et compliquées faisait une partie essentielle du rituel des tables élégantes ; cet art était pratiqué en Alsace et l’est encore, sans que je puisse affirmer qu’il ait été poussé aussi loin qu’en France du temps de Henri III et de Henri IV, où l’on voyait le linge de table artistement plié en toutes sortes de formes de fruits, d’oiseaux, de monuments, etc.[4].

  1. Montaigne, loc. cit., p. 50.
  2. Gœtter-Both, année 1674, p. 7. C’est une espèce de Mercure allemand.
  3. Beck, Factum contre Klinglin, p. 27.
  4. Tallemant, Historiettes, t. X, p. 113.