Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/302

Cette page n’a pas encore été corrigée

faire un trait galant semblable à celui de ce duc de Savoie, bossu, qui, étant amoureux de sa belle-fille, lui donna une collation où toute la vaisselle d’argent était en forme de guitares à cause qu’elle en jouait[1].

Parmi les objets de luxe et les pièces d’argenterie qui s’étaient le plus répandus, il faut signaler les gobelets à boire, de vermeil et d’argent. L’on en trouvait dans toutes les maisons de la riche bourgeoisie ; ils se transmettaient presque comme un titre aristocratique, comme une preuve que la famille datait de loin et qu’il y avait longtemps qu’elle tenait un certain rang dans la cité. Beaucoup de nos contemporains conservent encore de ces coupes venant de leurs aïeux : j’en sais même qui n’ayant pas d’ancêtres à gobelets bien authentiques, achètent quelques coupes chez l’antiquaire et se font ainsi de force une généalogie apparente qu’ils jugent plus honorable que la leur. Le goût ou plutôt la vogue de ces vases a duré jusqu’à la Révolution. À Montbéliard chaque famille un peu aisée en possédait toujours un nombre au-dessus du nécessaire[2]. Les vieux Mulhousiens avaient poussé cette mode à l’excès, à en juger par un inventaire de 1587 qui nous apprend que deux frères Finninger étaient propriétaires de quarante-sept coupes d’argent.

Ce n’est encore rien en comparaison du Bâlois Sébastien Schrettlin qui invita une fois (1548) 300 personnes et les pourvut chacune d’un calice « volé aux églises catholiques ». C’était un fameux scélérat, ajoute le chroniqueur, et le juge rigoureux lui versera un jour sa récompense dans un autre calice[3].

Le corps de magistrature des villes possédait aussi de ces vases : c’étaient des présents des nouveaux élus. Cette vaisselle d’honneur jouait un rôle assez actif dans certaines cérémonies officielles, sans être dédaignée dans les conventicules intimes où les pères

  1. Tallemant des Réaux, Historiettes, t. X, p. 78
  2. Duvernoy, Éphémérides de Montbéliard, p. 300.
  3. Chronique des Dominicains de Guebwiller, p. 242.