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y ont fait entrer le melon, le café, le citron et l’ananas ? Pour la pomme de terre, c’est différent ; nous connaissons son histoire. Quoi ! les épinards pourraient être le monument d’une révolution gastronomique que nous dérobent l’éloignement et la nuit des âges ! Cela me paraît étrange et il se peut pourtant que cela soit. Quelque docte botaniste nous le révélera peut-être un jour. En attendant, je me borne à dire le peu que je sais, et à croire que les ménagères alsaciennes, depuis nos grand’-mères[sic] Triboques jusqu’à nos cuisinières actuelles, ont connu et apprêté, dans cette longue série de siècles, toutes les plantes potagères du Bon Jardinier alsacien de 1853. Qu’on lise les Capitulaires de Charlemagne, l’on verra que le grand empereur recommandait à ses intendants la culture du plus grand nombre des légumes que nous mangeons encore aujourd’hui.

Plaçons-nous, par exemple, en plein seizième siècle. L’alimentation de cette époque, on ne peut en douter, représente assez exactement ce que fut celle de tout le moyen âge, et même des temps antérieurs. La carte des légumes y est très-riche et très-variée. Chaque saison de l’année apporte son tribut. Le printemps d’alors, comme le nôtre, donnait les épinards, la bette, le jeune chou frisé, la laitue, la buglosse, la bourrache, l’oseille, les chicorées, l’acanthe, le pissenlit, dont les feuilles ainsi que celles du pavot et du navet d’hiver étaient servies en légume. Un mets étrange pour nous, délicat alors, était la feuille de la violette de mars mêlée avec la jeune ortie, et ce qui valait mieux, je crois, les laiterons et les premières pousses du houblon sauvage. Au-dessus de tout dominaient l’asperge et la raiponce. Avec l’été, arrivaient les racines de persil, les carottes, les chervis, les navets doux, les raves et radis, surtout le radis noir[1], les pois verts en cosses, les jeunes haricots verts, le seigle et l’épeautre dont on mangeait les grains verts en légume. L’automne apportait les

  1. Renommé en France au XVIIIe siècle. — Legrand d’Aussy, Vie privée des Français, t. Ier, p. 182.