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Ce n’est donc pas seulement la délicatesse progressive des goûts gastronomiques qui a restreint l’usage de la viande de porc en Alsace, mais encore les changements survenus dans le régime administratif des forêts. Il est bon qu’on le remarque, afin d’éviter qu’on nous reproche d’avoir dégénéré de la simplicité de nos ancêtres. À la fin du dix-septième siècle, le médecin Maugue constatait encore « que la viande fraîche de cochon ou salée faisait la principale nourriture des Alsaciens[1] ». L’usage de cette consommation avait été de tout temps si répandu qu’il avait donné naturellement naissance à une industrie que nous trouvons officiellement reconnue dans les constitutions strasbourgeoises. Les tueurs de porcs, les saleurs et les charcutiers, auxquels on avait adjoint les fruitiers, formaient une des vingt tribus de métiers de la ville de Strasbourg. Elle tenait le septième rang.

Les Alsaciens avaient donc cela de commun avec les Romains du temps de Plaute et de la vieille république, qu’ils mangeaient avec délices, comme ces derniers, le lard. Qu’un moraliste en induise ce qu’il voudra. Pour moi, je ne fais que cette réflexion, c’est que les Lorrains, qui ont toujours aimé le lard et qui l’aiment encore, ne ressemblent pas beaucoup plus que nous aux Romains de Plaute et de la république.

Ce serait une chose assez difficile, je crois, et dans tous les cas au-dessus de ma compétence, que de rétablir l’histoire des importations, de l’acclimatation et de la propagation des végétaux alimentaires dans notre province. J’ai de la peine à me persuader que les légumes familiers de nos tables d’aujourd’hui n’ont pas de toute éternité défrayé la cuisine alsacienne. Comment croire, en effet, qu’il y a eu un jour dans le passé où la carotte rouge, le chou, le navet, les pois et les lentilles sont entrés dans le domaine culinaire par un effort de civilisation pareil à ceux qui, de nos jours,

  1. Histoire naturelle de la nouvelle province d’Alsace, mss. de la Bibl. nat., in-folio, t. III, p. 129.