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parés et satisfaits, vivait un amas de paysans hâves qui grattent la terre infatigablement, qui mangent du pain de fougère, qui s’accrochent aux voitures des étrangers pour mendier un morceau de véritable pain ; que par-dessous les fêtes de Versailles s’agitait une populace de déguenillés et d’affamés[1]. La belle imagination d’aller sermonner, avec un vertueux édit, cette foule de pauvres diables, et de leur recommander la tempérance et la modération ! C’était donc moins de la nécessité de réformer les abus et d’endiguer le flot des mauvaises mœurs que du besoin de maintenir la séparation des classes de la société, que dérivait la législation somptuaire. Elle était un hommage rendu à la prééminence politique de la noblesse, du haut clergé, et une mortification adressée à la richesse des roturiers et des marchands. On servait par là la vanité du sang et l’orgueil des castes plus que l’on ne s’appliquait au soin de la morale et à la culture de la vertu.

Il en était de même en Allemagne et partout ; mais avec cette différence notable qu’en France les édits somptuaires émanaient du pouvoir royal ou de ses représentants et avaient ainsi un caractère général, tandis qu’en Allemagne ces ordonnances émanaient de la puissance municipale, quelquefois de l’autorité seigneuriale, et qu’elles n’avaient d’empire que sur les habitants d’une cité, ou sur les communautés d’une même seigneurie.

En Alsace, les règlements somptuaires apparaissent principalement dans les villes libres impériales et à partir du seizième siècle. Ils sont nés d’une triple cause. La marche ascendante de la civilisation, le développement du commerce et des relations internationales, l’extension du luxe jointe à l’avidité des jouissances nouvelles, me semblent les avoir naturellement provoqués. C’est leur cause génératrice et générale. J’en découvre une autre dans le perfectionnement qui s’était introduit dans l’art d’administrer et qui excita chez les administrations la passion de tout réglementer. Enfin le grand ébranlement religieux de la Réforme devait aussi

  1. H. Taine, La Fontaine et ses fables, p. 57.