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du rang, à sauter les barrières sociales, à proclamer la liberté de la beauté et à affirmer le droit qu’elle a de se faire valoir et admirer.

Les philosophes et les législateurs ont sans doute, sur ces questions, des opinions bien arrêtées et pourraient nous dire si les règlements somptuaires sont légitimes ou tyranniques, s’ils sont utiles ou nuisibles, s’ils constituent un progrès ou ne seraient qu’une naïve vieillerie. Mon sentiment est que chacun se puisse habiller à sa fantaisie, porter les étoffes qui lui plairont, se meubler comme il l’entend, mettre six chevaux à un tilbury si le cœur lui en dit, avoir autant de domestiques que sa patience en pourra supporter, instituer sa cuisine et sa cave selon ses goûts, charger sa table d’après les rites de Lucullus ou l’alléger d’après la règle de saint Bruno. Ainsi le veut la liberté. Que chacun exerce l’office de censeur dans sa propre maison. Ceux qui ne se rendront pas aux conseils de la sagesse se laisseront probablement convaincre par la dialectique expressive de leur bourse vide. Là où manquera la modération naturelle ou volontaire pourra bien venir un jour la réforme nécessaire et forcée. Mais que la police et le gouvernement restent chez eux et n’entreprennent point de nous rendre modestes et sobres malgré nous, en supputant la quantité de soie qui est entrée dans nos habits et en comptant les plats qui doivent former notre dîner. Voilà ma profession de foi sur cette matière, et j’ajoute que je regarderais comme un progrès très-sensible que nos paysannes sussent toutes accommoder un poulet à la Marengo, et qu’on eût de la peine à dire, en se réglant sur la vue de l’habit, si cet homme qui passe est un charpentier ou un sénateur.

Nos anciens rois ont fait des édits somptuaires en des siècles où il eût été plus sage et plus pressant de songer à habiller, à chausser, à nourrir et à loger le peuple, que de penser à lui interdire l’excès dans les choses dont il était naturellement privé. Du temps de Louis XIV, et même de Louis XV, les Anglais qui ont voyagé en France, lady Montague[sic], Locke, Addison, remarquent qu’au-dessous de la cour, du beau monde, d’une petite élite de gens