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nuance ? Nous pourrions encore moins souffrir que la loi se mît en tête de régler le degré de richesse ou de modestie de nos meubles, de calculer la finesse des dentelles de nos femmes, de mesurer la longueur des plumes de leurs chapeaux, de critiquer la largeur ou l’élégance de leurs rubans. Il nous paraîtrait tout à fait insupportable qu’un décret voulût s’aviser de compter le nombre de bouteilles que nous pourrions boire, et de mettre son nez dans les casseroles de notre cuisine pour s’assurer que notre appétit ou notre gourmandise ne dépasse point les limites du rang que nous tenons dans la société. Nourris des principes constitutionnels, forts de nos droits politiques, appuyés sur notre double dignité d’hommes et de citoyens, nous ne manquerions pas de trouver que ces lois restrictives sont de grandes impertinentes et que les décrets, leurs frères, sont des rustres et des malappris. Nous ferions peut-être une révolution pour le leur prouver.

Nos théories en économie politique protesteraient tout aussi vivement contre l’établissement des lois somptuaires. C’est un dogme du monde nouveau que le luxe fait la prospérité des États, puisque c’est lui qui vivifie le commerce et entretient l’industrie. L’on ne se donne pas la peine de le prouver. On l’affirme et chacun fait semblant de le croire, en haut comme en bas. Cela suffit en bas aussi bien qu’en haut.

Anciennement, les idées étaient fort différentes sur ce sujet. L’on pensait qu’il était d’une bonne police de conformer l’appareil extérieur à la situation sociale, de régler le costume sur le rang, de proportionner la figure à la dignité. L’on estimait que le paysan ne se devait point hausser aux allures du bourgeois, que l’artisan avait sa place naturelle entre les deux, que le bourgeois offensait la décence publique et dérangeait l’harmonie de l’État en imitant le train réservé aux gentilshommes, que ceux-ci ne devaient point, à leur tour, affecter le large déploiement qui était le privilège des seigneurs. De même, et surtout, pour les femmes de ces diverses classes. L’on avait déjà reconnu alors que l’élément féminin est plus enclin que l’autre à franchir les limites