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du monde chrétien. Le pain, comme emblème de la nourriture normale du genre humain, n’y apparaissait que rare et dénaturé par des sortiléges. Les mets qui figuraient sur la table du sabbat étaient des crapauds, la chair de pendu détachée des gibets, le corps des petits enfants morts sans baptême[1] ; les noix, à cause de leurs qualités alexipharmaques et de l’honneur que leur avait fait le païen Mithridate de les employer dans son fameux antidote ; les fromages aux senteurs violentes et étranges[2] ; les chauves-souris[3] à l’aspect équivoque et aux mœurs nocturnes ; le lait malicieusement soustrait aux bêtes ensorcelées ; du gibier, entre autres du renard ; des viandes d’animaux domestiques, comme on le voit par les protocoles d’Ober-Bergheim ; des brouets, des gâteaux aux œufs (Eyerwestlin), des rats et des souris[4]. La sorcellerie avait aussi sa flore spéciale ; plusieurs plantes concouraient à la préparation des mets servis aux banquets sabbatiques, et étaient employées dans les philtres que les sorcières donnaient à leurs victimes ; par exemple, l’euphorbe (Hexenmilch), la grande chélidoine, le mille-pertuis perforé (Hexenkraut), la circée pubescente ou herbe aux sorciers, ou herbe de saint Étienne, la clématite (Hexenstrang), le gui, la poudre de lycopode (Hexenmehl), etc.[5]. Les festins des sorcières ne connurent jamais d’autre table que la verte pelouse des pâturages, le tapis rose des bruyères ou la dalle grise des roches sauvages. De même que dans le monde réel, les pauvres, dans ce monde de la fantaisie et du délire, servaient les riches. Le vin y apparaissait, sous la double couleur rouge et blanche, dans des gobelets d’argent ou d’or ; dans les réunions de sorcières villageoises, on buvait dans des coupes de bois ; le verre était inconnu. L’orchestre qui animait les rondes éperdues et égayait l’orgie, était composé de fifres, de violons et de cornemuses.

  1. Merklen, Histoire d’Ensisheim, t. II, p. 131.
  2. Ancienne Revue d’Alsace, 1837, p. 209.
  3. Golbéry, Antiquités du Haut-Rhin, p. 50.
  4. Alsatia de 1856-1857, Die Hexenprozesse, par A. Stœber, p. 331.
  5. Idem, p. 328.