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a jeté le sort, et qui a reçu, pour son châtiment, tous les coups frappés dans le lait maléficié[1]. Dans nos montagnes lorraines, l’on fait rendre à la crème une plus grande quantité de beurre, en oignant le fond de la baratte avec de la graisse de chat[2]. Avant que la police correctionnelle eût pensé à punir les falsificateurs du lait, la justice populaire les avait châtiés. D’après la tradition colmarienne, la rue des Augustins est hantée par le fantôme d’une laitière qui, de son vivant, fraudait outrageusement sur sa marchandise. En punition de son crime, elle vient quelquefois encore puiser au puits de la maison Altherr. La ville de Barr connaît un revenant semblable ; c’est l’âme d’un farinier fripon qui vendait à faux poids. Il porte une calotte rouge, d’où lui est venu le nom de Rothkæppel. Combien est plus douce au souvenir la tendre légende du Puits-au-lait (Milchbrunnen) d’Illzach ! C’est là que la Mère de Dieu transporte, dans le silence des nuits, les pauvres enfants à qui la mort a pris leurs mères[3] ; elle les nourrit mystérieusement, et le matin on les trouve dans leur berceau, marqués autour de la bouche d’un cercle lacté qui révèle leur restauration miséricordieuse. — L’ancien hôpital de Mulhouse possédait, parmi ses biens, un verger appelé Milchsuppen-Acker. Il en avait été gratifié à la suite d’un acte de charité fait envers une pauvre vieille femme qui, infirme et affamée, était venue implorer à la porte une modeste soupe au lait en échange de tout ce qu’elle possédait. Elle n’avait pour tout bien qu’une lande stérile, et mourut aussitôt qu’elle eut mangé la soupe au lait que la pitié du régisseur lui avait accordée. Mais la lande sauvage, fécondée par la bénédiction de Dieu, devint par la suite un riche et fertile verger. Le cœur reconnaissant des pauvres ne pouvait mieux exprimer sa foi dans la toute-puissance de la charité.

  1. A. Stœber, loc. cit., p. 284.
  2. Richard, loc. cit., p. 59.
  3. Stœber, loc. cit., p. 121.