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les enfants de la reine, les princes, les ducs, les comtes, disparaissaient pêle-mêle dans le gouffre, mais aussi parce qu’il voyait les bourgeois et les paysans se jeter avec une ardeur orgueilleuse, le fusil à l’épaule, au fond des plus épaisses forêts, à la poursuite du gibier seigneurial. C’est alors que vieilli, découragé, il a dû rêver tristement aux grandes chasses mérovingiennes, à Sigebert, qui chassait, dit-on, depuis Bâle jusqu’à Strasbourg sans voir la lumière du ciel ; à Frédéric Barberousse qui transporta les insignes impériaux au fond de la forêt de Haguenau, sa chasse de prédilection[1], à Anselme le Téméraire qui se précipita avec son cheval, à la poursuite d’un cerf, du haut d’un rocher que nous connaissons tous dans la forêt de Ribeauvillé ; à Nordwind, le veneur terrible de Herrenfluh ; à tous ces barons féodaux chassant sans cesse dans nos rudes montagnes, et surtout aux belles et intrépides châtelaines qui les suivaient, l’oiseau de proie sur la main, entourées de leurs pages et de leurs fauconniers. Ah ! ces souvenirs héroïques devaient lourdement tomber sur le cœur du vieillard ! Et même qu’étaient ces chasses élégantes de Saverne auprès des grandes journées de destruction des vieux temps ! Ne savait-il pas, qu’en l’année 1627 son prédécesseur, l’évêque-archiduc Léopold, avait pris en une seule chasse 600 sangliers dans la Hart, et un autre évêque, celui de Spire, un siècle plus tard, en 1722, pareil nombre de ces redoutables animaux, dans le Bienwald ? Pouvait-il ignorer, qu’en plein règne de Louis XIV les pacifiques chanoines de Marbach chassaient encore le cerf au Lengenberg, que les abbés de Munster avaient droit aux pattes des ours tués dans les montagnes qui environnaient leur abbaye, et que les comtes de Ribeaupierre exigeaient de leurs sujets du val d’Orbey non-seulement les quatre pattes, mais aussi la tête bien longue coupée de cet hôte antique de nos forêts ?… Toutes

  1. Dans le palais somptueux par lequel il remplaça le petit château de chasse, bâti par Frédéric le Borgne, son père, dans une île de la Moder, et qui donna naissance à la ville libre impériale de Haguenau.