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le moine, je dépècerai cette volaille d’après les principes de la Bible. — Oui, exclama la châtelaine, agissez conformément à l’Écriture sainte ! — Le théologien opéra. La baron reçut sur son assiette la tête du volatile, la baronne le col, les deux damoiselles chacune un aileron, les deux jeunes gens chacun une patte ; le moine mangea tout le corps de place. — Sur quelle interprétation fondez-vous ce mode de partage ? demanda le gentilhomme au confesseur. — Sur une interprétation tirée de ma propre pensée, répondit le moine ; comme chef de votre maison, la tête vous revenait de droit ; la baronne étant ce que vous avez de plus proche, elle devait recevoir le col qui est la partie la plus voisine de la tête, les jeunes filles doivent reconnaître dans les ailerons le symbole de leurs pensées mobiles qui flottent d’un désir et d’une espérance à l’autre ; quant aux jeunes barons, les jambes que je leur ai données leur rappelleront que la perpétuité de votre race repose sur eux, et qu’ils sont chargés de soutenir votre maison, comme les jambes du chapon soutenaient cet animal lui-même[1]. »

Ce n’est pas seulement l’art culinaire qui a toujours passé pour une chose considérable, digne de l’attention et des sympathies de tous les bons esprits ; mais les cuisiniers, les flamines de cette science secrète, ont été souvent des personnages importants. L’on ferait un chapitre original et instructif si l’on recherchait combien de favoris de princes, de ministres ont dû leur élévation à leurs talents culinaires, et pour combien leur opinion a influé sur le cours des affaires publiques. Je n’en citerai que deux exemples.

Henri IV avait eu à son service un marmiton nommé La Varenne, qui, de cet humble office, était monté par degrés au rang de cuisinier, de porte-manteau et de directeur des plaisirs du roi. À force d’esprit, d’adresse et de services rendus, il devint M. de la Varenne, s’enrichit infiniment, devint un personnage

  1. Paulli, Schimpf und Ernst, édition de 1856, p. 17.