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1768 au Magistrat de Colmar : « que d’après la situation de la Caisse de la ville il avait vu avec plaisir que sans y occasionner de dérangement, elle pouvoit supporter une dépense qu’il présumoit devoir lui être agréable, et que comme il avoit été instruit à son dernier voyage à Colmar que le Magistrat n’a point de glacière à lui affectée, il se portoit volontiers à ce qu’il en fût établi une incessamment ; que cependant il présumoit que le Magistrat ne se refuseroit pas à en abandonner la jouissance à M. et à Mme de Klinglin pendant la vie de l’un et de l’autre, après quoi il la fera servir à son véritable usage[1]. » Ce véritable usage, on le devine, était de mettre la glacière à la disposition des bouchers pour la conservation de la viande. Quand le Magistrat de Colmar fut publiquement accusé, en 1789, d’avoir bu à la glace, aux dépens de la bourgeoisie, il s’en défendit en soutenant que la glacière de Klinglin et celle du commandant, M. de Mauconseil, mort en 1782, avaient été louées aux bouchers. La sensualité tenace de Mme de Klinglin a donc contribué à doter Colmar d’un établissement d’intérêt public. Voilà comme tout s’enchaîne philosophiquement dans le monde !

Ce n’est pas une témérité que d’allier la philosophie et la cuisine. Les théories de celle-ci ont certainement plus influé sur le sort des empires que les rêveries de celle-là. Tous les bons esprits, dans tous les temps, ont remarqué l’importance du rôle que la table a joué dans les affaires publiques, et le génie que les cuisiniers ont dépensé pour illustrer leur art et immortaliser leurs personnes. Paul-Émile, ce généreux Romain, ne faisait point de différence entre un grand général et un maître-queux de premier vol. « Il disoit que d’une même suffisance d’entendement dependoit le bien savoir ordonner une bataille formidable à ses ennemis qu’un festin bien agréable à ses amis, car l’un et l’autre dépend d’un bon jugement de savoir bien ordonner et ranger[2]. » Que

  1. Mémoire pour le Préteur et Magistrat de Colmar, Colmar, 1789, p. 56.
  2. Plutarque, Vie des hommes illustres, p. 161.