Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/24

Cette page n’a pas encore été corrigée

disparu qu’avec la Révolution. La tradition nous a conservé le souvenir des chasses de Dagobert, de Sigebert l’Austrasien, de Charlemagne, dans les vallées de Munster et de Lièpvre, de Louis le Débonnaire dans celle de Saint-Amarin[1]. Celui-ci a même pêché la truite dans le torrent de la Thur, au pied du Trimont. (Pêche n’est point plaisir de roi, on le sait bien ; aussi n’est-ce pas sans cause que l’histoire a donné à ce prince le surnom de Débonnaire.) Les crêtes sauvages de nos montagnes fournissaient encore aux tables recherchées les gelinottes, les lagopèdes ou gelinottes de neige, et le coq de bruyère, le morceau d’apparat, la pièce d’honneur des festins. Ces oiseaux avaient cessé d’être communs il y a un siècle ; ils sont déjà rares aujourd’hui et les gastronomes contemporains prédisent avec une satisfaction farouche que leurs descendants n’en mangeront plus. — J’espère qu’il se trouvera quelqu’un pour souffler dans l’oreille de la muse de l’histoire le nom de l’heureux gourmand qui sacrifiera à Comus le dernier des coqs de bruyère.

Je ne parle ici de la chasse qu’en passant. C’est un grand et poétique sujet qui mériterait d’être traité avec les détails et l’expérience qu’un adepte de l’art peut seul y apporter. C’est tout un drame à révéler, commençant dans les souvenirs de la mythologie scandinave, avec les chasses furieuses d’Odin, et finissant dans les bruits de la Révolution avec les chasses galantes de M. le cardinal de Rohan. M. de Rohan fut vraiment le dernier veneur alsacien. Tout est logique dans le monde ! Le même homme qui hâta les funérailles de la monarchie assista aussi à la ruine de la vénerie, et du fond de son exil d’Ettenheim, il vit le naufrage de l’objet de ses deux passions de gentilhomme, la chasse et la royauté. Ah ! il a dû sentir que le vieux monde était mort, non-seulement parce que le roi son maître, la reine de France et

  1. Louis le Débonnaire chassa dans les Vosges en 821 et 831. À chacune de ces années, les Chroniques de Saint-Denis disent : « Et li empereres s’en alla chacier en la forêt de Vouge. »