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y a de plus charmant et de plus doux dans l’humanité. C’est la poésie légère de la cuisine, vive, fleurie, souriante, parée par l’esprit et l’imagination de toutes les grâces et de toutes les élégances. Mieux que cela encore : c’est la féerie de la table.

Qui pourrait dénombrer avec certitude rigoureuse les inventions variées, les mille petites merveilles, les caprices sans fin que la femme, dans ses heures de rêverie active, a tirés de sa riche et curieuse imagination ? Il ne faut pas le tenter. Ce domaine a été et sera toujours illimité. L’homme crée pour satisfaire sa force ou son ambition, la femme pour contenter son rêve. Là, c’est le monde qu’on voit, ici le monde qu’on devine. Ces gracieuses conceptions du génie féminin, il est facile au rude orgueil de l’homme de les dédaigner ou de les reléguer au rang des bagatelles et des frivolités. Nous les devons pourtant presque toutes au tendre repliement du cœur de la femme sur lui-même, à sa puissance de contemplation intérieure, à ces longues heures de solitude, d’exil et de mystiques pèlerinages où son cœur souffre, espère ou attend. La châtelaine solitaire, presque captive dans le grand manoir féodal, qui, du haut de la montagne, plonge son regard dans la plaine vague et bleue, a distrait son oisive mélancolie par la création de quelques-uns de ces riens délicieux ; la religieuse, retranchée du monde, dans le silence du cloître, a détourné de son âme les douces songeries de l’amour pour inventer une gracieuse futilité ; la jeune épouse a placé sa joie naïve dans l’espérance du regard surpris et charmé qui caressera le fruit de sa prévenante industrie ; la fiancée a imaginé des délicatesses nouvelles et fraîches comme son jeune amour. Dans cet ordre de nos plaisirs, où règnent le bon goût, la grâce, l’élégance, l’esprit et la poésie de la sensualité, je le dis avec une profonde conviction, c’est la femme, sous ses aspects multiples et dans ses puissances diverses, qui a tout trouvé, tout perfectionné. Les cuisiniers de profession n’ont rien fait, rien inventé. Ils se sont bornés à faire une exploitation égoïste des découvertes dues à l’imagination de la femme.