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choses que tout le monde sait. Et si je m’avisais de mettre la cuisine au-dessus de la gloire, aurais-je bien tort ? La fumée de celle-ci fait-elle plus d’heureux que la fumée de celle-là ? Quel est le plus vrai philosophe, celui qui goûte le spectacle de l’extermination des gens, ou celui qui prend plaisir à les voir bien dîner ? Se battre, courir les aventures, faire des révolutions, veiller aux portes d’une ville assiégée, conquérir des provinces, aviver de sa foi et de son éloquence les séditions populaires, tenir tête aux Hongrois, aux Anglais d’Enguerrand de Coucy, aux Armagnacs du dauphin de France, aux Bourguignons de Charles le Téméraire, aux brigands de Mansfeld, aux Suédois de Horn et de Bernard, aux Français de Turenne et aux Pandours du baron de Trenck, voilà les traits capitaux de notre histoire. Ils sont grands, respectables, glorieux. Je les aime et je les admire. Mais, me permettra-t-on de dire qu’à côté de cette histoire en habits de fête, de cette histoire grave et solennelle dont les journées pompeuses ne s’échelonnent qu’à longs intervalles dans les siècles, il y a une autre histoire modeste, vulgaire, ignorée, l’histoire de tous les jours, l’histoire de la vie privée. L’on s’occupera toujours assez de ce que nous aimons particulièrement dans l’histoire, le bruit, l’émotion, le drame, les spectacles extraordinaires, car les écrivains savent notre avidité pour les récits de batailles, de sombres aventures, de poignantes catastrophes. Mais ce que l’on fera toujours trop rarement, à mon avis, c’est de soulever quelque coin du voile qui recouvre le côté intime, domestique de la vie des générations éteintes.

Donnons donc, sans gêne, une heure à l’innocente fantaisie de parler de la table de la vieille Alsace. Laissons un instant les grands coups d’épée pour les coups de bouteille, l’épopée chevaleresque pour les hauts faits des cordons-bleus, et les légendes poétiques pour la prose substantielle de la cuisine.

Maintenant, un mot sur la méthode que je vais employer. Je ne veux pour rien au monde faire le savant, et en cette matière moins qu’en une autre. Il faut laisser aux docteurs de Tubingue