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habitudes présidaient à la vie intime du foyer domestique et de la famille ? Parlez-nous de leur gloire, de leurs prouesses guerrières, des révolutions qui les ont agités, des désastres dont ils ont souffert, des monuments célèbres qu’ils ont fondés, des livres qu’ils ont écrits. Nos aïeux, monsieur le cuisinier, savez-vous bien que ce sont les Celtes fameux, dont vous rencontrez les témoignages grandioses sur la crête de nos montagnes ; ce sont des gens dont on ne parle pas légèrement. Nos aïeux, ce sont les Gallo-Romains, race industrieuse et cultivée qui a entendu chanter le poète Ausone, qui a fréquenté avec saint Jérôme les écoles de rhétorique de Trèves, et qui a servi dans les légions de Probus et de Julien ; respectez-les, monsieur. Nos aïeux, ce sont les redoutables Franks qui, couverts de la dépouille des bêtes féroces et la framée à la main, ont aidé à renverser l’empire romain et fondé la plus grande nation de la chrétienté ; ne plaisantez point ces rudes trépassés. Nos aïeux, ce sont ces braves Germains du moyen âge, moines qui ont défriché nos solitudes, chevaliers qui ont été aux croisades, qui ont brillé aux tournois de l’empire, bourgeois qui ont fondé des cités libres et résisté aux empereurs, lettrés qui ont brillé dans la Renaissance, libres penseurs qui ont acclamé la Réforme, rustauds qui ont fait la dure guerre des paysans et qui ont vu toutes les épouvantes et toutes les calamités de la guerre de Trente ans ; vénérez ces grandes ombres des vieux temps et vous gardez de les convier à la frivole revue que vous méditez. Nos aïeux, ce sont encore ces fidèles Allemands dont l’esprit résistant luttait contre le grand roi, mais qui ont scellé leur éternelle union avec la France et la liberté sur les champs de bataille de la grande république. Voilà, monsieur, de quoi il faut vous inspirer, plutôt que d’aller indiscrètement découvrir un à un les pots de l’ancienne cuisine alsacienne, analyser les ragoûts de nos arrière-grand-mères, et mettre les doigts dans les plats du temps passé.

Assurément, le conseil est bon, et je le suivrais si j’étais un philosophe. Mais je ne suis qu’un de ces incorrigibles curieux qui préfèrent les petits mystères que beaucoup ignorent aux grandes