Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/194

Cette page n’a pas encore été corrigée

ravivaient la soif défaillante des buveurs. Il n’y avait presque point de maison, point de famille, où l’oie de la Saint-Martin ne fût mangée en l’honneur du saint évêque des Francs. C’est ce qui autorisait Séb. Franck à écrire ces lignes dans son Weltbuch : « Malheureuse est la maison qui, le soir de ce jour, n’a pas une oie à mettre au feu ! » Le vieux Conrad de Dankrotzheim a aussi chanté les louanges de cette antique férie :


  Der milte Sant Martin
Den man beget (feiert) ufi sine Nacht
Mit Wines Krafft und maniger Dracht[1].


(Le bon saint Martin que l’on fête, dans la nuit qui lui est consacrée, avec des vins généreux et des mets variés.)


Les croisés allemands qui défendaient Joppé en l’année 1179 ne firent que trop bien honneur au programme usuel de la fête. Les Sarrazins remarquant qu’ils avaient trop vaillamment martiné[2], surprirent les portes de la ville et massacrèrent jusqu’au dernier des fervents sectateurs de la coutume occidentale[3].

Un évêque de Strasbourg, dont le nom ne réveille dans notre histoire que des souvenirs pacifiques et riants, Jean de Manderscheid, solennisa à fond ce jour de réjouissance, en 1578, dans son château de Saverne. Élu en 1569, il ajournait depuis neuf ans le serment qu’il devait prêter à la ville. Il s’y décida enfin en 1578, et la république députa à sa résidence six membres du gouvernement pour recevoir son serment au nom de la ville. La députation, toute protestante, était composée de deux anciens stettmeister, de deux anciens ammeister, de l’avocat général de la ville et du secrétaire des XXI. Elle arriva à Saverne le 9 novembre. L’évêque la fit loger au château. Il prêta son serment dans la matinée du 10, mais il exigea que les députés passassent

  1. Heiliges Namenbuch, p. 120. — Alsatia, 1852, p. 145.
  2. Vieux verbe français : festoyer, faire la Saint-Martin.
  3. Schnéegans, Das Martinsfest, Alsatia, 1851, p. 72, à la note où l’autorité est citée.