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et humilié sa maison. « Arrivée au banquet, S. M. est passée devant les tables, au milieu des salves d’artillerie et des vivats des soldats, qui mangeaient, chantaient et se livraient à toutes les démonstrations de la joie. Rien de plus imposant que ce coup d’oeil[1]. » Franchement, il était plus que cela ; je le trouve extraordinaire de tout point.

Que je préfère donc à ces grands spectacles, si changeants et si contraires, le tableau d’intérieur, le tableau aux couleurs vraiment allemandes du Kuttelschmauss (régalade de boudins) ! Novembre est venu, la Saint-Martin est passée, le ciel est gris, les premières froidures se font sentir, les soirées sont longues et tranquilles ; c’est le moment de saigner le porc qui nourrira pendant l’hiver la famille du paysan, de l’artisan aisé, du petit bourgeois. Toute la maison est à l’œuvre. Mais il y a deux parts : l’une de réserve, de prévoyance, d’avenir ; ce sont les gros quartiers de la bête ; l’autre, toute d’actualité, sacrifiée à l’instant même, qui se partage avec les amis, les voisins ; ce sont les boudins, les saucisses, la gelée, les grillades, le rôti à dépêcher, toutes les bagatelles utiles qui ne sont point de conserve. On est convié à ce régal de famille aujourd’hui, demain, toute la semaine ; on rendra la pareille la semaine prochaine. On profite de la circonstance pour étrenner la tonne de choucroute nouvelle. La boisson requise est le vin nouveau, sans préjudice d’une bouteille de vieux pour le coup de la retraite. L’usage du Kuttelschmauss est général en Alsace, sous des noms divers. Il est très-vivace dans la contrée d’Obernai. Le docteur Meyer a remarqué que la saison où cette coutume sévissait abondait en maux de tête[2]. Eh ! c’est de rigueur, cher docteur ! Sans cette suite, le Kuttelschmauss est manqué.

Les fêtes d’hiver avaient donné naissance à d’autres récréations gastronomiques : la Saint-Nicolas, jour de grande richesse pour

  1. Annuaire du Bas-Rhin, année 1811, p. 164.
  2. Meyer, Obernäh in medizin. Hinsicht, p. 117.