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voir comme les vins séculaires du Rhin et les vins historiques du pays disposaient le sénat à croire à l’éternité des institutions de la cité… Mais un jour, en 1746, le Pfennigthurm fut trouvé bien vieux et bien délabré ; les quatre tourelles aériennes qui, au haut de la plate-forme, souriaient aux quatre points cardinaux, parurent laides et ruineuses ; l’antique table des agapes de la Saint-Jean sembla descellée et rongée par le temps ; la tour sainte tomba sous le marteau de démolition. Le banquet traditionnel se cacha pendant quelques années dans les salles obscures de la tribu de la Lanterne, et bientôt après la Révolution souffla sur le sénat qui fit place à l’orageuse commune de 1792.

La veille Constitution strasbourgeoise n’avait pas, comme tant d’autres, exclu les femmes du bienfait de ses fonctions. Après que les bourgeois, pendant une longue matinée hivernale de janvier, avaient vaqué en cérémonie aux solennités du Schwörtag, ils se réunissaient dans leurs tribus respectives pour réchauffer leurs sentiments patriotiques à la douce chaleur d’un banquet abondant et fraternel. Le sexe faible ne pouvait siéger dans ces chapitres civiques, mais il célébrait l’heureuse journée du serment en se formant en conventicules de plaisance, défrayés par la bourse de la communauté. Partout régnait la joie expansive, la causerie libre et plénière, l’exaltation passagère de l’inhabitude de se sentir affranchies du sceptre conjugal. Les collations étaient diversifiées selon la différence du rang social auquel les femmes appartenaient. Les confitures, les fruits, les dragées, les pâtisseries, les vins de France, les liqueurs fines, étaient l’apanage des cénacles élégants ou aisés ; les plus modestes voyaient apparaître le rôti, les gâteaux, les marmelades, du vin vieux du pays ; et tous indistinctement les petits pâtés consacrés par un usage qui avait force de loi et dont l’ancienneté était attestée par ce dicton :


Der Männer Schwörta Schweiss
Giebt de Wiwer Pastetle heiss.


(La sueur des maris au Schwörtag procure aux femmes des petits pâtés chauds.)