Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/177

Cette page n’a pas encore été corrigée

Élisabeth d’Autriche, femme de Charles IX. Le service des cuisines de la reine était si peu assuré que loin de pouvoir faire des largesses au populaire, elle n’avait pas même la certitude de dîner. Il fallut que l’Évêque de Strasbourg, qui attendait la princesse à Spire, écrivît (9 octobre 1570) à ses conseillers de Saverne pour leur enjoindre de lui envoyer des lièvres, des alouettes, du sanglier et une centaine de saucissons fumés. Louis Falkenberger et Martin Mitterspacher, les deux conseillers fidèles de Jean de Manderscheid, avisèrent à contenter leur maître, et nous savons qu’ils furent assez heureux pour lui envoyer à temps un sanglier de trois ans, tué au Mittelberg, huit lièvres, un demi-cent d’alouettes tirées par le fauconnier de l’évêque, quelques coqs d’Inde, d’autre menu gibier à plumes, et un héron tué au Kreutzfeld de Saverne par le garde Ulrich[1].

Les anciennes administrations des villes libres impériales, grâce à la prévoyance qui était une de leurs vertus obligatoires, n’ont jamais couru le risque de pareilles mésaventures. Quand elles entendaient dîner, elles étaient bien assurées que rien ne ferait défaut. Lorsque M. de Klinglin, préteur royal de Strasbourg, prit possession de la seigneurie d’Illkirch, il se mit en tête de donner un grand festin au sénat de la ville. Il le convia dans son château. M. de Klinglin était à l’apogée de sa fortune et de sa faveur. Il traita princièrement ses amis. Toutes les raretés, toutes les délicatesses du monde gastronomique d’alors furent concentrées à un jour donné, à Illkirch, dans le Tuscule splendide du Verrès strasbourgeois. Des détails circonstanciés sur cette fameuse journée, je n’en ai pu trouver, et j’avoue que je suis étonné que les disgrâces éclatantes subies plus tard par le préteur n’aient pas livré ces détails à la haine publique. Cette haine s’est contentée de taxer le festin d’Illkirch de scandale et d’abomination, moins à cause des excentricités coûteuses qui y figurèrent, que parce que M. Klinglin[sic] oublia de les payer de

  1. L. Spach, Deux voyages d’Élisabeth d’Autriche, p. 26.