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juge, à l’édile nouveau. Janus n’avait que deux têtes, et on les lui reproche ; le véritable mangeur en a cent et tout autant de bouches toujours tendues dans cent directions différentes. Aujourd’hui c’est la fête patronale, demain c’est jour d’arquebuse ; voici le baptême d’une cloche ou le placement d’un nouvel orgue ; plus tard c’est le jour de la reddition des comptes communaux, ou une enchère publique, ou une noce d’argent ou une noce d’or, ou un anniversaire consacré par la tradition locale, ou quelque saint d’un grand crédit à chômer ; puis viennent les assemblées annuelles des tribus ou corporations de métier, l’oie de la Saint-Martin, la veillée de Noël, le gâteau des Rois, le carnaval, les brandons, les feux de la Saint-Jean, les bombances réciproques qui signalent le sacrifice d’un ou de plusieurs porcs pour le service de la maison ; que sais-je encore ? Tous ces petits événements parfaitement prévus, périodiques, réguliers et impatiemment attendus, sont autant de prétextes que l’appétit actif de nos aïeux saisissait au passage pour en tirer un banquet, un long et solide repas, une puissante collation, selon le cas, mais toujours en joyeuse compagnie, égayés par la bonne humeur, le franc parler, les rondes chansons, et cette pointe de gros sel du pays si redoutable aux femmes, aux gens d’église et aux grands. Qui pourrait faire le dénombrement exact de toutes ces journées de liesse dans le bon vieux temps ? Personne peut-être. Un satirique du seizième siècle, Jean Fischart, de Strasbourg, le Rabelais allemand, qui a accommodé un Gargantua aux idées germaniques, nous a laissé dans ce livre une nomenclature pittoresque des fêtes familiales et publiques qui fournissaient des occasions de se livrer à la bonne chère. Ces fêtes ne sont pas toutes exclusivement alsaciennes, mais presque toutes ont existé chez nous. Le tableau que nous offre Fischart est une vive image des mœurs anciennes de notre pays. Il ne signale pas moins de cinquante-trois occasions que l’esprit inventif du moyen âge s’était ingénié à convertir en bombances. Les voici dans l’ordre arbitraire adopté par l’imagination du satirique. Il en est plusieurs que nous ne pourrons ni élucider, ni même définir :