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satisfaction d’un besoin matériel et égoïste, mais la satisfaction d’un besoin moral et généreux, le penchant affectueux qui fait incliner nos cœurs les uns vers les autres ; là, c’est l’homme qui se nourrit dans la sphère étroite et prosaïque de la maison et de la famille ; ici, c’est l’homme animé, rayonnant, l’esprit ouvert, le cœur épandu, qui goûte dans une sphère élargie et chaude les joies si éminemment sociables de la convivialité. J’ai fait à l’histoire de nos usages et de nos habitudes culinaires envisagées sous le rapport de leur utilité privée, une part large déjà, mais non encore complète. Je n’ai parlé de nos festins qu’en passant, plutôt pour leur emprunter des détails et des renseignements que pour en peindre le caractère, l’esprit et la signification. Je veux donc revenir un instant encore à ce côté si intéressant et si original des mœurs alsaciennes.

Il n’est certainement point de pays de l’ancien Saint-Empire où le besoin de la convivialité se soit plus énergiquement manifesté que dans l’Alsace, et où il se soit aussi plus richement satisfait. Nous en avons vu des preuves multipliées et concluantes. Dans cette heureuse province, où le penchant naturel de la population au plaisir était entretenu et fécondé par la facilité et l’abondance des moyens les plus propres à le flatter et à le satisfaire, toute circonstance un peu notable de la vie domestique, toute occasion civile, politique, militaire ou religieuse, qui produisait un contact entre les hommes, était mise à profit et couronnée d’une vaillante mangerie. On baptisait un enfant ; un banquet joyeux saluait le nouveau chrétien et le jeune héritier. On unissait des fiancés ; un festin, trois festins, six festins célébraient l’institution d’une nouvelle famille. On enterrait un parent, un ami ; un grand repas servi aux vivants consolait les mânes du mort. Un prince passait ; c’était les sujets qui le fêtaient ; si c’était un évêque, ses ouailles fidèles se mettaient en frairie ; instituait-on un curé ou un pasteur, les paroissiens ne pouvaient rester indifférents ; installait-on un bailli ou un bourgmestre, les justiciables et les bourgeois étaient tenus de faire honneur au nouveau