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sommes mieux fixés sur le Plattenmuss : c’étaient des œufs battus avec de la farine et du lait, mis dans un plat exposé sur la braise ; en servant cette espèce d’omelette soufflée, on l’ornait de raisins de Corinthe et on la saupoudrait de sucre[1]. Il m’eût été agréable d’indiquer avec précision l’époque de l’invention des nouilles (Nudlen) ; mais je n’ai pu y réussir. Ce mot ne se rencontre pas dans les sermons de Geiler, donc la chose n’existait pas de son temps ; cet esprit original, qui aimait d’emprunter ses comparaisons à la vie familière, n’aurait pas manqué de tirer quelque application morale ou de l’usage de ce mets ou des procédés qu’exigeait sa confection. J’incline à penser que les nouilles sont une idée italienne qui n’a passé les Alpes qu’après la guerre de Trente ans. Moscherosch, qui a écrit son Adelisches Leben en 1641, n’en parle pas encore, mais nous les trouvons établies en 1671, parfaitement décrites et mentionnées sous leur nom actuel dans le livre de l’abbé Buchinger[2].

Voilà un aliment bien jeune dans l’histoire du monde, diront certains fanatiques, nous le tenions pour bien plus ancien. — Qu’y faire ? Ils se consoleront peut-être en apprenant que les Wasser-Striblen remontent à plus de deux siècles avant l’ère chrétienne et que Caton le Censeur en a parlé au chapitre LXXVIII de son traité De Re Rusticâ, non par à peu près, mais très expressément, car non seulement il en donne la recette, mais il en fournit aussi le nom sous lequel les flegmatiques allemands les mangent depuis deux mille ans, sans se douter de leur origine quiritaine. Le vieux Romain les appelait sans aucun détour scriblitæ, striblitæ. Est-ce clair ? La chose a paru telle au savant M. Mone lui-même, qui n’hésite pas un instant sur ce point[3]. Convenons que l’on peut avoir de la patience sur bien des sujets, quand on songe que l’on se nourrit quelquefois d’un plat expliqué par Caton et mangé par les Scipions.

  1. Buchinger, Koch-Buch, formule 557.
  2. Idem, Koch-Buch de 1671, formules 590 et suiv.
  3. Mone, Urgeschichte Badens, t. 1er, p. 101.