trône de Bavière, le plaisir que cet aliment lui avait si souvent procuré dans ses jeunes années, lorsqu’il était colonel du régiment d’Alsace. Devenu roi, il fit venir à la cour de Munich et prit à son service, pour remplir la fonction spéciale de faiseuse de quenelles de veau, une brave Alsacienne, Mme Kayser, veuve d’un chirurgien-major du régiment que ce prince avait commandé[1]. Tous les rois ne sont pas ingrats.
Je ne donne qu’une simple mention aux gâteaux de hachis de viandes[2], aux issues d’oie préparées en civet ou bouillies au safran[3], aux chapons rôtis et relevés d’une sauce à l’orange[4]. Mais je ne puis passer sous silence un raffinement barbare que le bon vieux temps, dont l’on nous vante toujours la simplicité, avait imaginé pour donner une délicatesse particulière à la chair du dindon. Le dindon désigné pour le sacrifice est soumis à un jeûne absolu pendant une demi-journée ; son heure fatale sonne ; alors on le pourchasse ardemment par toute la basse-cour, de façon à le réduire au dernier degré de l’exaspération et de l’épouvante ; dans cet état d’exaltation douloureuse, on le saisit et on le garrotte comme un criminel, puis on lui infuse de vive force un demi-verre de vinaigre saturé de sel et de gingembre ; il est à l’agonie ; mais les affres de la mort ont communiqué à sa chair les qualités voluptuaires qu’attendait la cruelle imagination des cuisiniers ; à ce moment suprême, on lui passe la hart au col et on étrangle le patient. La suite de la cérémonie est moins tragique. Le dindon mort reste suspendu pendant deux ou trois jours à l’air ; alors seulement on le plume, on le vide, puis on le passe à l’eau bouillante et de celle-ci à l’eau froide ; on le frotte résolûment avec du poivre et du sel, on le pique avec du lard, de la cannelle et des clous de girofle, et on le met à la broche par un feu mené modérément. Cette méthode acerbe de préparer le dindon,