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de baies de genévrier. Elle se servait froide et entourée de sa gelée. L’empereur Rodolphe de Habsbourg paraît l’avoir appréciée sous cette forme. Quand il voulut récompenser la brutale franchise d’une boulangère de Mayence qui l’avait injurié sans le connaître, il lui fit porter le chef de porc qui figurait, ce jour-là, en tête du menu de son dîner[1].

Ce mets me rappelle une vigoureuse et spirituelle saillie d’un bon vieux curé lorrain, que j’ai tendrement aimé et dont je vénère pieusement la mémoire, à cause de ses vertus, de son savoir et de sa rare philosophie. Prêtre déjà à la Révolution, il n’avait voulu faire partie ni du clergé assermenté, ni du clergé réfractaire ; il se fit soldat. Après le Concordat il rentra dans sa cure, et ne la voulut jamais quitter, même sous l’offre des plus honorables dignités. — L’abbé C***, majestueux vieillard de soixante-dix ans, à stature imposante, voyageait, un jour froid d’automne, dans les montagnes, à pied, suivant son habitude ; il portait son tricorne sous le bras, la tête seulement protégée par ses vénérables cheveux blancs. Au sommet d’une côte, il fait la rencontre de quatre bûcherons ; il s’arrête pour leur demander quelques indications sur le chemin à suivre. Les quatre manants restaient impertinemment couverts. Le bon philosophe n’y prenait point garde. Mais l’un des rustres eut la tentation d’être facétieux : « Couvrez-vous, Monsieur le curé, dit-il ; les têtes de veau ne sont bonnes que chaudes. — C’est juste, répondit le curé en plaçant son chapeau sur sa tête ; et vous, ôtez vos casquettes, ajouta-t-il avec autorité, car vous savez que les têtes de cochon ne sont bonnes qu’à la gelée. » Les bûcherons se découvrirent.

Revenons aux mets singuliers ou oubliés. Que pensez-vous du filet de bœuf rôti nageant dans une forte sauce au vin[2] ? de la langue de bœuf à la sauce douce faite avec du vin, de la

  1. Chronique des Dominicains de Colmar, édition de 1854, p. 313.
  2. Moscherosch, Anleitung zu einem adelichen Leben. Strasbourg, 1645. In-8°, p. 116.