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pâtés de volaille domestique : pâté de poulets, pâté de chapons, pâté d’oie, pâté de canard, pâté de dindon, pâté de pigeons ; le pâté de paon était un article de haute pression, mais qui était moins destiné aux convoitises de l’appétit qu’à produire de l’effet et à présenter un spectacle ; le mausolée qui renfermait ce roi des basses-cours devait être paré de sa dépouille, brillante, tête, ailes et queue. Le gibier apportait un riche tribut de sacrifices à cette branche importante de l’art de nourrir. Il était offert en holocauste à la gourmandise de nos pères, dans les pâtés de cerf, de sanglier, de marcassins, de chevreuil, de lièvre ; les pâtés de lièvre d’Obernai surtout sont renommés ; une famille de cette ville, les Wagner, y a acquis et y conserve une réputation qui remonte à la fin du règne de Louis XIV ; tous les hivers, elle en fait des expéditions importantes au loin[1]. L’implacable génie de la cuisine n’a pas épargné le plus charmant des rongeurs, le folâtre et adroit écureuil, le singe de nos forêts vosgiennes. On le met en pâté, lui aussi, dans la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines et dans toutes nos montagnes. Hélas ! il est excellent ! J’ai beau soupirer, j’en ai mangé. Après cela, comment s’étonner que toute la gent emplumée des forêts, des champs, des prairies et des montagnes, ait été impitoyablement mise au carnage et façonnée en pâtés de cailles, d’alouettes, de merles, de pinsons, de mésanges, de bécasseaux, de perdrix, de gelinottes, de grives, de faisans, de canards sauvages, de coqs de bruyère ; j’ai déjà raconté que le grand Condé avait été régalé d’un pâté de tétras, par le maréchal de Guébriant, au château de Dachstein[2]. La série des pâtés prélevés sur la faune vosgienne serait complète si j’avais pu trouver quelque gentilhomme du pays qui eût régalé de belles dames d’un pâté de loup, à l’imitation de Louis XIII, qui poussa une fois sa facétieuse mélancolie jusqu’à en faire servir un de cette espèce aux filles d’honneur de sa femme, Anne d’Autriche ; mais sous le voile du pseudonyme bien entendu. Parmi les poissons, la carpe, le brochet, le saumon, les saumoneaux, les goujons, la truite, étaient mis à une dure contribution ; les pâtés de truites de Sainte-Marie-aux-Mines étaient renommés au temps passé ; le pâté de morue, bien assaisonné, et relevé d’un hachis d’oignons verts était une munition de carême estimée ; le pâté d’écrevisses était une composition assez compliquée et qui serait, je crois, d’une originalité fort dissidente avec nos goûts d’aujourd’hui ; on dépouillait de leur armure les membres de l’écrevisse et en les rangeant dans la terrine à pâté, on les entremêlait de poires sèches ou de pommes farcies, puis on coulait sur ces matériaux ainsi disposés une espèce de béton aromatique composé d’œufs battus, de figues et de raisins de Corinthe hachés, de beurre frais, de

  1. Meyer, Ober-Ehnheim in medizinischer Rücksicht. Strasb., 1841. In-8°, p. 123.
  2. Revue d’Alsace. — L’Alsace à table, Ire partie, année 1853, p. 260.