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Quant au mode de préparation des champignons, nos anciens, on le devine bien, étaient loin de se douter à quelle hauteur artistique, à quel caractère transcendant les virtuoses modernes pourraient le porter. La haute école fondée par le génie de Carême, de Plumerey, de Grimod de la Reynière et de Brillat-Savarin n’avait pas même été entrevue en espérance par eux. Ils s’en tenaient à des pratiques d’une extrême simplicité, à des procédés naïfs et sommaires. Ordinairement, ils exposaient le champignon sur le gril à la braise vive ; quelquefois ils le confiaient à la casserole menée par un feu doux et modéré. Dans les deux traitements, l’assaisonnement était bref et économique : le beurre, le sel, le poivre, le vinaigre, le gingembre, la muscade, quelques herbes domestiques, quelques aromates exotiques, tel était le cercle borné de ressources où s’était emprisonnée l’imagination des anciens cuisiniers. Un principe absolu dominait la matière, c’est que le champignon exigeait une cuisson énergique, prolongée, complète, et qu’il requérait une forte dose d’épices, non pas associées, combinées, mais prises individuellement, séparément, selon le goût qui devait caractériser le mets ; ainsi force sel ici, force poivre là, ailleurs une vive prédominance de gingembre, ailleurs encore une pointe stimulante de basilic ou de menthe. Dans les campagnes, on mélangeait les champignons avec des poires sauvages, avec des quartiers de fruits séchés (Schnitzen) ; ce plat n’en avait que plus de mérite. L’on avait aussi essayé alors déjà de neutraliser les principes malfaisants des champignons douteux par l’association de certaines substances. La chair de corneille passait pour posséder cette vertu. Le docteur Jérôme Bock nous l’enseigne positivement, et il ajoute que des corneilles et des champignons bouillis ou rôtis ensemble constituent un mets très-agréable. C’était double profit. Je ne recommande ni le procédé, ni le plat. Les amateurs de notre siècle, qui désirent d’être éclairés à fond sur l’art de préparer et d’apprêter rationnellement tous les êtres inoffensifs qui appartiennent à la mycéthologie, peuvent s’abandonner avec confiance au docteur Roques,