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champignons, qui porte dans la science le titre royal de Cæsareus, dans l’allemand d’Alsace celui de Kayserling, Herrenpilz ; dans le français sans-façon des Vosgiens on se contente de l’appeler Jaseran. Horace, Juvénal, Martial l’ont célébré dans leurs vers ; Apicius a disserté publiquement sur l’art de le préparer, et Néron a exprimé son fanatisme pour l’oronge en l’appelant le mets des dieux, cibus deorum. L’oronge blanche, familière aux Vosges du sud-est, n’a jamais atteint à la réputation de sa sœur ; cependant elle est excellente. Je ne parlerai point des espèces méprisées, ni de celles qu’une terreur salutaire tient éloignées de nos cuisines. Mais je dois remarquer que parmi les premières figure un champignon que les soldats russes mangeaient couramment dans nos pays pendant l’occupation de 1816 à 1818 : c’est la pezize noire (Bulgaria inquinans) qui croît en abondance sur les troncs de chênes récemment abattus. Le docteur Mougeot rapporte ce fait, qui ne m’étonne plus depuis que je sais que les Russes ont trouvé le moyen de manger le lactaire meurtrier (Agaricus necator) dont le nom seul fait reculer d’effroi. Nos paysans cauteleux ne s’exposeront jamais à pareil danger. Tout au plus courront-ils le hasard de se tromper en recueillant sur les vieux troncs de sureaux un champignon qui, au lieu d’être un aliment agréable, n’est qu’un purgatif énergique. C’est à cette déception, sans doute, que ce champignon doit le désagrément de porter le nom du modèle des traîtres : Oreille-de-Judas[1].

  1. Je me suis servi pour tracer cette esquisse rapide de nos champignons alimentaires des ouvrages suivants : Roques, Histoire des champignons comestibles. Paris, 1832. — Lavalle, Traité des champignons comestibles. Paris, 1852. — Lentz, Die nützlichen und schaedlichen Schwæmme. Gotha, 1840. — Mougeot, Considération sur la végétation spontanée des Vosges. Épinal, 1845. — J. Bock, Kreutterbuch. Strassburg, 1577. — J’ai aussi demandé quelques conseils et des éclaircissements à M. le professeur Kirschleger, qui me les a donnés avec cette obligeance parfaite et amicale qui est le trait distinctif des véritables savants, et qui double le prix du service rendu.