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dans l’enquête que j’ai été forcé de faire. Les mœurs actuelles n’ont aucune solidarité avec les anciennes. Un économiste distingué et contemporain a exprimé le même sentiment dans les lignes suivantes : « Quant à la manière générale de vivre de nos ancêtres, il s’en faut que, dans les siècles passés, la sobriété ait été une de leurs qualités. Combien n’existe-t-il pas aujourd’hui encore de vieillards racontant les orgies auxquelles on se livrait, faisant l’énumération des plats nombreux, des mets succulents qui chargeaient les tables, tandis que notre régime actuel leur paraît mesquin comparé à cette somptuosité d’autrefois[1]. »

Maintenant que je crois avoir satisfait les critiques difficiles qui s’étaient émus, et édifié les sceptiques qui avaient pris l’alarme, mon terrain me paraît plus solide et plus sûr que jamais. J’y replace donc avec confiance la table que leurs doutes avaient un moment ébranlée, et autour de la table les anciens Alsaciens.

Je reprends les menus que cette digression m’a forcé d’interrompre. Le dernier que j’ai exposé aux regards de mes lecteurs est celui qui fut servi, dans la ville de Thann, à Martin Kulm, simple soldat suisse de la république de Mulhouse, au service de François 1er. Ce que c’est pourtant que le caprice de l’histoire ! Elle nous conserve la composition du souper d’un lansquenet, d’un vaurien des bandes suisses du seizième siècle, et elle garde le silence sur le menu du festin que l’empereur Rodolphe de Habsbourg fit chez les Dominicains de Colmar, le 29 avril 1289 !… Tout ce qu’on sait c’est que le grand empereur en fit les frais, qu’il y invita une nombreuse noblesse et quelques dames, et que ce banquet « fut riche, excellent et d’un caractère inusité chez les Dominicains[2] ». Je donnerais trente pages de la chronique qui nous raconte ce fait avec ce sans-façon, en échange de la carte de ce dîner colmarien de 1289.

  1. Ch. Bœrsch, Essai sur la mortalité à Strasb. Strasbourg, 1836. In-4°, p. 63.
  2. Ann. et chron. des Dominicains de Colmar, édition 1854, p. 137.