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à-dire qu’elle était simple, ouverte, sincère, mais trop adonnée aux jouissances de la table. Pierre Schott, le noble ami de Geiler, faisait le même reproche aux Strasbourgeois, en disant de sa ville natale : Ubi est amplior epulis atque armis locus quam litteris[1], c’est-à-dire que cette cité se signalait plus par ses goûts militaires et son penchant à la bonne chère que par son amour des lettres. Le duc de Rohan lui rendait le même témoignage en 1600. Ce qui l’avait le plus frappé « dans le bizarre ordre de cet estat populaire » était le penchant de cette république pour les joies de la table. « Tout ce que j’en ay le mieux aymé, dit-il, a esté la bonne chère qu’on m’y a faite[2]. »

Si nos écrivains nationaux ne pouvaient s’empêcher de faire de semblables remarques, comment les étrangers auraient-ils résisté à l’envie d’esquisser des mœurs si différentes de celles de leur pays ? Aussi Michel Montaigne[sic] nous a-t-il laissé le journal des impressions qu’il reçut dans son voyage d’Alsace, accompli en 1580. Il va nous parler d’une autre extrémité de la province, de Mulhouse. « En cette contrée ils sont somptueux en poiles, c’est-à-dire en sales communes à faire le repas… mais ils ont plus de soucys de leurs disners que du demeurant… Ils sont excellans cuisiniers, notamment de poisson. Leur service de table est fort différent du nostre… Ils ne se servent jamais d’eau à leur vin, et ont quasi raison. Quant à la viande, ils ne servent que deux ou trois plats au coupon ; ils meslent diverses viandes ensamble bien apprestées et d’une distribution bien esloignée de la nostre… Ils ont jusqu’à six ou sept changemens de plats, deux par deux… Les moindres repas sont de trois ou quatre heures pour la longueur de ces services ; et à la vérité ils mangent aussi beaucoup moins hâtivement que nous et plus seinement. Ils ont grande abondance de vivres de cher et de poisson et couvrent fort somptueusement les tables[3]. »

  1. P. Schott, Lucubraciunculæ. Argent., 1498. In-4°, p. 7.
  2. Voyage du duc de Rohan en 1600. Amsterdam, 1646. In-12, p. 9.
  3. Journal du voyage de Montaigne en Italie, etc. Paris, 1775. In-12, t. Ier, p. 36 et suiv.