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par les attraits d’une table abondante et toujours ouverte[1]. Voilà l’origine de nos tendances. Elles remontent, je l’espère, assez haut et découlent de sources sûres : la religion et la politique. Sur cette pente, le reste venait tout seul, et aucune déviation sérieuse n’était à craindre. Le prêtre Salvien, de Marseille, reprochait aux Germains leur intempérance, dès le cinquième siècle. Nos châteaux mérovingiens sous les trois Dagobert, nos villas royales sous Charlemagne et ses successeurs, le tragique palais de Marlenheim, ont vu plus d’une fois les princes francs célébrer leurs retours de chasse dans des festins dont l’ordonnance barbare et mythologique est restée vivante dans la légende populaire. Une immense salle voûtée en plein cintre, pavée de dalles vosgiennes où des baies étroites ne versaient qu’une lumière avare, et décorée des dépouilles menaçantes des bêtes farouches, recevait le prince et la bande bruyante de ses compagnons. Les pièces de gibier, daims, sangliers, élans, cerfs, étaient servies rôties et tout entières, et dans les quatre angles de la salle quatre tonnes de vin versaient aux rudes chasseurs le flot doré des vins d’Austrasie. Ce souvenir de la vie barbare n’est pas isolé. La pierre sauvage des forêts, l’âpre rocher des montagnes, rappellent quelquefois à la mémoire du peuple les repas des âges héroïques. C’est ainsi que le dolmen du Bollerstein, dans le pays de Dabo, passe pour avoir servi de table à manger, selon les uns à un général romain, selon les autres à un conquérant de l’époque des invasions germaniques[2], et que dans le voisinage de Gérardmer, près du Saut-des-Cuves, la tradition a consacré un énorme bloc de granit sous le nom de Pierre de Charlemagne, parce que ce puissant monarque l’avait choisi pour ses haltes de chasse et y dînait souvent avec ses preux[3].

À côté des légendes, plaçons maintenant des textes positifs, historiques.

  1. Ozanam, Œuvres complètes, t. IV, p. 378.
  2. Beaulieu, Rech. sur le comté de Dabo, Paris, 1836. In-8°, p. 24.
  3. Jacquel, Topogr. de Gérardmer. Plombières, 1852. In-8°, p. 59.