de bonne apparence et commande à son hôte un copieux repas qu’une demi-douzaine de camarades devaient partager avec lui. Toute la cuisine est en travail pour restaurer les braves vétérans, enfants du pays, partis si jeunes, revenus si vieux ! Le dîner étant prêt, Kulm se met à table, sans attendre ses compagnons supposés, et se fait servir tout le repas. Il le consomma entièrement. L’hôtelier n’en pouvait croire ses yeux. Il jugea qu’un fantassin suisse doué d’un si ruineux appétit ne pouvait appartenir qu’au monde d’outre-tombe ; et comme il n’eût guère été prudent d’exiger un sextuple écot d’un revenant pourvu d’une bonne rapière, il abandonna la fixation du prix du dîner à la générosité naturelle du soldat. Kulm savoura avec plaisir un des plus utiles privilèges de la gloire. Il paya sobrement. Lorsqu’il partit, l’aubergiste le suivit secrètement, s’imaginant toujours qu’il verrait s’évanouir et se dissoudre dans l’Ochsenfeld ce fantôme qui avait si bien dîné. Mais il ne vit qu’un vieux soldat jovial, filant allègrement sur la route monotone, et dissipant les fumées de sa dernière victoire dans une joyeuse chanson des camps.
Suivant un vieux registre, le dîner de Martin Kulm avait consisté en une abondante soupe grasse au pain, deux livres de bœuf bouilli, un plat de choucroute égayé d’un rôti doré de porc frais, un rôti de veau, des poulets en fricassée, trois pigeons, dix grives et un plat de truites de la Thur, le tout mouillé à propos avec cinq pots de vieux vin du Rangen[1].
Après un pareil dîner, mes lecteurs doivent éprouver le besoin de faire une petite sieste.
- ↑ Mieg, Gesch. der Stadt Mülhausen, t. II, p. 11.