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doit avancer plus vite et plus directement, pourquoi le poëte épique trouve mieux son compte dans une marche un peu vacillante. Il en résulte, ce me semble, que le poëte épique doit s’interdire les sujets qui, par eux-mêmes, excitent vivement la passion, la curiosité ou la sympathie, car alors l’action intéresse trop vivement comme but pour se réduire facilement à n’être qu’un simple moyen. Je crains, je l’avoue, ce dernier inconvénient dans votre nouveau poëme, bien que j’aie toute confiance dans votre toute-puissance poétique pour faire du sujet tout ce qui est possible.

La manière dont vous voulez développer votre action me paraît plus propre à la comédie qu’à l’épopée. Du moins vous aurez beaucoup à faire pour la dépouiller de ce qui peut exciter l’étonnement et la surprise, sentiments très-peu épiques.

J’attends votre plan[1] avec une grande curiosité. Il me paraît digne de remarque que Humboldt ait eu, à ce sujet, la même impression que moi, quoique nous ne nous soyons nullement communiqué nos pensées. Il reproche à votre plan de manquer d’action individuelle et épique. Quand vous m’en avez parlé pour la première fois, j’attendais toujours la véritable action ; tout ce que vous me racontiez ne me paraissait qu’une introduction et comme le champ où l’action devait se développer entre des personnages déterminés ; et, au moment où je croyais que cette action allait enfin paraître, vous avez fini. Je comprends bien que le genre auquel appartient votre sujet exclut l’individu et force le poëte à s’occuper surtout de la masse et de l’ensemble ; c’est l’intelligence qui en est le héros, et elle est plus propre à s’élever au-dessus des objets qu’à les embrasser dans son sein.

Au reste, quelle que soit la qualité épique de votre nouveau poëme, il constituera toujours, en regard de votre Hermann et Dorothée[2], un genre différent ; si Hermann était la pure expression du genre épique, et non pas seulement d’une espèce, il en résulterait que le nouveau poëme serait bien peu épique. Mais vous vouliez précisément savoir si

  1. Il s’agit du poëme de la Chasse, dont il a été question plus haut.
  2. Le poëme d’Hermann et Dorothée, que Gœthe venait d’achever.