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leurs propres conceptions. Ainsi, comme Wolf s’est efforcé de le prouver, c’est aux Alexandrins[1] que nous serions redevables de notre Homère, tel que nous le possédons, ce qui, à vrai dire, donne à ses poëmes un tout autre aspect.

Encore une remarque spéciale. Quelques-uns des vers des poëmes homériques qu’on regarde comme entièrement apocryphes et tout à fait modernes, sont absolument du même genre que certains vers que j’ai introduits moi-même après coup dans mon poëme pour rendre l’ensemble plus clair et plus facile à saisir, et pour préparer à propos les événements à venir. Je suis très-curieux de voir ce que je serai tenté de retrancher ou d’ajouter à mon poëme, quand j’aurai terminé mes études actuelles ; en attendant, le premier texte peut se produire dans le monde.

Un des caractères essentiels du poëme épique, c’est d’aller toujours en avant et en arrière ; c’est ce qui donne une couleur épique à tous les motifs poétiques qui suspendent la marche de l’action. Mais ces motifs ne doivent pas devenir des obstacles, car ceux-ci sont le propre du drame.

Si la nécessité de retarder ainsi la marche du poëme, qui se trouve si amplement satisfaite dans les deux poèmes d’Homère, et qui était aussi observée dans le plan du mien, ne peut réellement être écartée, tous les plans qui vont droit au dénoûment doivent être rejetés, ou considérés comme une forme inférieure et plus historique que poétique. Le plan de mon second poëme a ce défaut, si c’en est un, et je me garderai bien d’en écrire un seul vers, avant que nous ayons complètement éclairci cette question[2]. L’idée me paraît singulièrement féconde : si elle est juste, elle peut nous mener loin, et je lui ferai volontiers le sacrifice le plus complet.

Dans le drame les conditions me paraissent tout opposées. Mais nous en parlerons bientôt plus à loisir. Adieu.

Weimar, le 19 avril 1797.
Gœthe.
  1. Les critiques alexandrins ont grandement contribué à établir le texte des poëmes homériques, tel que nous le possédons.
  2. Le poëme, auquel Gœthe fait ici allusion, est le poëme de la Chasse, auquel il songea à plusieurs reprises, sans pourtant le terminer.