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le dites vous-même, ni de morale, ni de droit naturel, ni de métaphysique politique. Ces trois points, autour desquels tourne toute spéculation, fournissent à un esprit dont l’éducation a été tournée vers le côté sensible la matière d’un jeu poétique, mais ne deviendront jamais pour lui une affaire sérieuse et un besoin.

La seule chose qu’on pourrait encore objecter, c’est que votre ami ne possède pas encore complétement cette liberté esthétique qui lui donnerait la certitude de ne jamais tomber dans certains embarras, de ne jamais avoir besoin de certains secours (ceux de la spéculation). Il ne manque pas d’une certaine tendance philosophique qui est le propre des natures sentimentales ; et, s’il se mettait un jour à spéculer, le défaut de fondements philosophiques suffisants pourrait devenir pour lui un grave danger. Car il n’y a que la philosophie qui puisse permettre de se lancer sans péril dans le champ des spéculations ; sans elle on est inévitablement conduit au mysticisme.

Maintenant on vous adressera une demande à laquelle vous avez partout ailleurs pleinement satisfait, c’est de poser votre élève avec une fermeté, une sécurité, une liberté, une solidité architectonique qui lui permettent de rester toujours debout sans aucun secours étranger ; on veut le voir placer par sa maturité esthétique au-dessus du besoin d’une éducation philosophique qu’il ne s’est pas donnée. On se demande s’il est assez réaliste pour n’avoir jamais besoin de se tourner vers la pure raison. S’il ne l’est pas, ne faudrait-il pas prendre quelques précautions de plus pour les besoins de son idéalisme ?

Vous allez croire peut-être que je prends un détour habile pour vous pousser dans la philosophie ; mais ce qui me semble manquer encore à votre livre peut parfaitement se faire dans la forme qui vous est propre. Je désire seulement que vous ne tourniez pas autour de la question, mais que vous la résolviez à votre manière. Ce qui remplace chez vous tout savoir spéculatif, et vous rend étranger à tout besoin de cet ordre, sera bien suffisant aussi chez Wilhelm. Vous avez déjà fait dire à l’oncle bien des choses ; et Wilhelm lui-même touche plus d’une fois à la question avec bonheur ; il n’y aurait donc plus grand’chose à faire. Si je pouvais habiller à votre manière ce que j’ai exprimé à ma