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et lui sont bien mieux préparés à ces enseignements pratiques sur la vie et son emploi ; la salle du passé et une connaissance plus intime du caractère de Nathalie peuvent avoir amené aussi une disposition plus favorable. Je vous conseillerai donc très-fort de ne pas la supprimer, mais d’y faire entrer, sous une forme plus ou moins nette, les idées philosophiques qui constituent le fond de votre œuvre. Avec un public comme le public allemand, on ne peut trop prendre soin de justifier les intentions d’un livre, et même, dans le cas présent, le titre qui, placé à la tête du livre, indique clairement ces intentions.

Je n’ai pas été médiocrement satisfait en trouvant dans le huitième livre quelques lignes qui ont la métaphysique pour objectif, et ont rapport au besoin spéculatif de l’homme. Seulement c’est une maigre et piteuse aumône que vous offrez à la pauvre déesse, et je ne sais pas si l’on peut vous tenir quitte pour un don si mesquin. Vous savez bien de quel passage je veux parler, car je crois, à le bien regarder, que vous ne l’avez pas écrit sans y avoir beaucoup réfléchi.

C’est un coup hardi, je le reconnais, dans notre temps de spéculation, que d’écrire un roman de cette nature et de cette étendue où vous savez si bien vous passer de « la seule chose indispensable, » et de faire accomplir les années d’apprentissage à un caractère aussi sentimental que celui de Wilhelm, sans l’aide de cette digne conductrice. Le pis est qu’il accomplit réellement son apprentissage, ce qui ne donne pas une très-haute idée de l’importance du guide dont il se passe si facilement.

Mais, sérieusement, d’où vient que vous ayez pu élever un homme, et venir à bout de son éducation, sans vous heurter à ces besoins que la philosophie seule peut satisfaire ? Je suis convaincu que cela tient uniquement à la direction esthétique que vous avez suivie dans tout le roman. Quand les dispositions de l’esprit sont purement esthétiques, il ne sent pas le besoin de ces consolations, qu’il faut aller demander à la spéculation philosophique ; elles portent en elles la substantialité et l’infinité ; c’est seulement lorsque l’élément sensible et l’élément moral luttent en nous, qu’il faut demander du secours à la raison. La belle et saine nature n’a besoin, comme vous