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uniquement parce que le cœur du père finit par parler en lui, comme il arrive à la fin du septième livre ? Ici encore, je souhaiterais que le rapport de toutes les parties du roman à cette conception philosophique fût rendu un peu plus clair. Je dirais volontiers : la fable est parfaitement vraie ; la morale de la fable est parfaitement vraie ; mais le rapport de l’une à l’autre ne saute pas encore assez nettement aux yeux.

Je ne sais si je serai parvenu à rendre ces deux observations bien intelligibles ; la question concerne l’ensemble ; il est difficile de l’appliquer clairement aux détails. Mais une indication doit vous suffire.

Puissiez-vous trouver le temps et l’inspiration nécessaires pour achever les charmantes petites poésies que vous destinez à l’Almanach des Muses, et la chanson de Mignon se parlant à elle-même ! L’éclat de l’Almanach dépend désormais uniquement des morceaux que vous lui fournirez. Je vis maintenant enfoncé dans la critique, pour arriver à bien comprendre Wilhelm Meister, et je ne puis pas faire grand’chose pour ce recueil. Adieu. J’espère pouvoir vous dire quelque chose encore dimanche soir.

Schiller.

31.

Réponse de Gœthe. Son propre jugement sur son Wilhelm Meister.

Je vous ai marqué sur une feuille spéciale les passages que je pense corriger ou remplacer selon vos observations ; je vous suis infiniment reconnaissant pour votre lettre d’aujourd’hui, dont les remarques m’obligent à tourner mon attention sur le complet achèvement de l’ensemble de mon œuvre. Ne vous lassez donc pas, je vous prie, de me pousser, en quelque sorte, hors de mes propres limites. Le défaut que vous relevez avec raison provient de l’essence intime de ma nature, de je ne sais quel tic de réaliste, qui me fait trouver du plaisir à cacher aux yeux des hommes mon existence, mes actions, mes écrits. C’est ainsi que je me plais toujours à voyager incognito, à mettre mon plus mauvais habit au lieu du meilleur, et, dans mes conversations avec des