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que c’est là tout, et vous aurez ainsi limité votre idée plus étroitement que si vous en aviez entièrement laissé la recherche à la sagacité du lecteur.

Si j’avais à exprimer dans une formule sèche le but auquel Wilhelm parvient après une longue suite d’égarements, je dirais : « D’un idéal vide et indéterminé, il s’élève à une vie déterminée et active, mais sans perdre pour cela la puissance d’idéaliser. » Les deux routes opposées qui éloignent de cet heureux état sont peintes dans le roman avec toutes sortes de nuances et de degrés. Depuis cette malheureuse expédition où il veut monter une pièce de théâtre, sans avoir pensé à ce qu’elle doit contenir, jusqu’au moment où il choisit Thérèse pour sa compagne, il a parcouru tout le cercle des erreurs humaines ; ces deux extrêmes sont les deux plus grandes antithèses dont un caractère comme le sien soit capable ; c’est d’elles que doit maintenant sortir l’harmonie. Puis, sous la direction noble et sereine de la nature, dont Félix est ici l’instrument, il passe de l’idéal au réel, d’une vague agitation à l’action et à la connaissance du réel, sans perdre pour cela ce qu’il y avait de sérieux dans son premier état ; il arrive à se fixer, sans perdre ce qu’il y a de charme dans l’indécision ; il apprend à se limiter, mais dans cette limitation même, il trouve par la forme un passage vers l’infini ; c’est là ce que j’appelle la crise de sa vie, la fin de ses années d’apprentissage ; et toutes les parties de votre œuvre viennent se réunir de la manière la plus parfaite en ce point. Les beaux liens par lesquels la nature l’unit à son enfant, son mariage avec Nathalie, ce noble caractère de femme, garantissent cet état de santé morale, et nous le voyons, nous le quittons sur un chemin qui conduit à une perfection sans bornes.

Votre manière d’expliquer les années d’apprentissage et la maîtrise parait renfermer l’un et l’autre dans des limites trop étroites. Vous entendez par le premier terme l’erreur qui consiste à chercher hors de soi ce que l’on doit tirer de soi-même ; par le second la conviction de la vanité d’une telle recherche, et de la nécessité de puiser en soi-même. Mais la vie entière de Wilhelm, telle qu’elle est sous nos regards dans le roman, peut-elle être réellement et parfaitement embrassée et comme épuisée par cette double conception ? Et son apprentissage peut-il être considéré comme achevé