Page:Gérard - Correspondance choisie de Gœthe et Schiller, 1877.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puissant, l’imagination semble se jouer trop librement de l’ensemble. Il me paraît que vous avez poussé la libre grâce des mouvements un peu plus loin que ne le comporte la gravité poétique ; et votre juste aversion pour tout ce qui est lourd, méthodique, guindé, vous a entrainé à l’extrême contraire. Je crois remarquer que vous vous êtes laissé aller, par une sorte de condescendance pour le côté faible du public, à poursuivre un but plus théâtral qu’il n’est nécessaire et convenable dans un roman, et par des moyens qui sentent trop aussi la scène.

Si jamais un récit poétique a pu se passer du secours du merveilleux et du surprenant, c’est assurément votre roman ; et, dans une œuvre pareille, tout ce qui n’est pas utile devient facilement nuisible. Il peut arriver que l’attention du lecteur s’attache trop aux incidents, et que sa curiosité se consume à deviner des énigmes, lorsqu’il devrait se concentrer sur la pensée intime du livre. Cela peut arriver, dis-je, et ne savons-nous pas tous deux que cela est déjà réellement arrivé ?

Il y aurait donc à se demander si l’on ne pourrait pas dans le huitième livre remédier à ce défaut, en admettant que c’en soit un. Il ne peut être question d’ailleurs que de l’exécution de l’idée ; l’idée elle-même ne laisse rien à souhaiter. Il suffirait donc de faire sentir un peu plus au lecteur l’importance de ce qu’il a considéré jusque-là comme frivole ; ces incidents dramatiques, qu’il ne pouvait regarder que comme un jeu de l’imagination, seraient légitimés, même aux yeux de la raison, par leur rapport clairement marqué à ce qu’il y a dans l’œuvre de plus sérieux ; vous l’avez fait jusqu’ici implicitement, mais non explicitement.

Différentes indications jetées dans votre huitième livre montrent ce que vous voulez qu’on entende par années d’apprentissage et maîtrise. Mais les idées contenues dans une œuvre poétique sont souvent, pour un public comme le nôtre, l’objet particulier de l’attention, et souvent la seule chose dont on se souvient ; il est donc important de la faire bien clairement comprendre. Les indications que vous donnez sont très-belles, mais elles ne me paraissent pas suffisantes. Vous voudriez sans doute mener le lecteur à trouver lui-même, plutôt que de l’instruire directement ; mais comme vous donnez quelques éclaircissements, on croira