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port, il appelle un corrélatif, la maîtrise ; l’idée de cette dernière vient seule éclairer la première et lui donner un fondement. Mais cette idée de la maitrise, qui n’est que l’œuvre de l’expérience mûre et accomplie, ne peut guider elle-même le héros du roman ; elle ne peut briller devant lui comme sa fin et son but ; car se représenter clairement ce but ce serait déjà l’avoir atteint ; elle doit donc le guider en restant derrière lui. De cette manière l’ensemble est tourné vers un but, sans que le héros en ait positivement un ; la raison trouve donc une entreprise bien conduite, tandis que l’imagination conserve pleinement sa liberté.

Mais en poursuivant cette entreprise, ce but, le seul dans tout le roman qui soit positivement exprimé, même en réglant cette mystérieuse direction de Wilhelm par Jarno et l’abbé, vous avez évité tout ce qu’il pouvait y avoir de trop étroit et de trop rigoureux, et vous avez cherché les motifs de cette direction plutôt dans une fantaisie de l’humanité que dans un principe moral : c’est là une de vos plus belles inspirations. L’idée des ressorts que vous mettez en œuvre se trouve ainsi écartée, bien que leur effet subsiste ; et tout demeure, du moins pour la forme, dans les bornes de la nature ; seulement le résultat est plus grand que celui qu’on pourrait attendre de la simple nature laissée à elle-même.

J’aurais cependant souhaité vous voir mettre un peu plus le lecteur dans la confidence de l’importance de ces ressorts, de leur rapport nécessaire à la pensée intime de l’œuvre. Le lecteur doit toujours voir clair dans l’économie de l’ensemble, bien qu’elle demeure cachée aux héros de l’action. Beaucoup de lecteurs, je le crains, ne croiront trouver dans cette influence secrète qu’un jeu théâtral, un artifice pour accroître la complication de l’intrigue, faire naitre des surprises, etc. Le huitième livre donne, il est vrai, une conclusion historique à tous les événements isolés produits par ces ressorts cachés ; mais la conclusion esthétique destinée à faire ressortir l’esprit général de l’œuvre, et la nécessité poétique de ses machines ne s’y montrent pas assez clairement ; j’ai pu m’en convaincre moi-même à la seconde et à la troisième lecture.

Si j’avais quelque observation sur l’ensemble à ajouter encore, ce serait celle-ci : à côté de la grande et profonde gravité qui règne dans tous tes détails et en rend l’effet si