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livre iii. la cité.


je ne serai pas, dit-il, un habitant inutile de cette contrée[1]; je vous défendrai contre vos ennemis ; je vous serai un rempart plus fort que des millions de combattants[2]; mon corps, endormi sous la terre, s’abreuvera du sang des guerriers thébains[3]

Les morts, quels qu’ils fussent, étaient les gardiens du pays, à la condition qu’on leur offrît un culte. « Les Mégariens demandaient un jour à l’oracle de Delphes comment leur ville serait heureuse ; le dieu répondit qu’elle le serait, s’ils avaient soin de délibérer toujours avec le plus grand nombre ; ils comprirent que par ces mots le dieu désignait les morts, qui sont en effet plus nombreux que les vivants : en conséquence ils construisirent leur salle de conseil à l’endroit même où était la sépulture de leurs héros[4]». C’était un grand bonheur pour une cité de posséder des morts quelque peu marquants. Mantinée parlait avec orgueil des ossements d'Arcas, Thèbes de ceux de Géryon, Messène de ceux d'Aristomène[5]. Pour se procurer ces reliques précieuses on usait quelquefois de ruse. Hérodote raconte par quelle supercherie les Spartiates dérobèrent les ossements d'Oreste[6]. Il est vrai que ces ossements, auxquels était attachée l’âme du héros, donnèrent immédiatement une victoire aux Spartiates. Dès qu’Athènes eut acquis de la puissance, le premier usage qu’elle en fit fut de s’emparer des ossements de Thésée, qui avait été enterré dans l’île de Scyros, et de leur élever un temple dans la ville, pour augmenter le nombre de ses dieux protecteurs.

Outre ces héros et ces génies, les hommes avaient des dieux d’une autre espèce, comme Jupiter, Junon, Minerve, vers lesquels le spectacle de la nature avait porté leur pensée. Mais

  1. Sophocle, Œdipe à Colone, 627.
  2. Idem, ibidem, 1534, 1525.
  3. Idem, ibidem, 621–633. On montrait à Athènes le tombeau où reposaient les ossements d'Œdipe et l’ἡρῷον où il recevait les honneurs funèbres (Pausanias I, 28 ; I, 30). Il va sans dire que les Thébains avaient sur Œdipe une autre légende.
  4. Pausanias, I, 43. Une légende semblable et la même pratiqua se retrouvent dans la ville grecque de Tarente (Polybe, VIII, 30).
  5. Pausanias, IV, 32; VIII, 9; VIII, 36.
  6. Hérodote, I, 67–68. Pausanias, III, 3.