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délègue à l’homme sa propriété sur une partie du sol[1]. Il y a eu quelque chose d’analogue chez les anciennes populations gréco-italiennes. Il est vrai que ce n’est pas la religion de Jupiter qui a fondé ce droit, peut-être parce qu’elle n’existait pas encore. Les dieux qui conférèrent à chaque famille son droit sur la terre, ce furent les dieux domestiques, le foyer et les mânes. La première religion qui eut l’empire sur leurs âmes fut aussi celle qui constitua chez eux la propriété.

Il est assez évident que la propriété privée était une institution dont la religion domestique ne pouvait pas se passer. Cette religion prescrivait d’isoler le domicile et d’isoler aussi la sépulture ; la vie en commun a donc été impossible. La même religion commandait que le foyer fût fixé au sol, que le tombeau ne fût ni détruit ni déplacé. Supprimez la propriété, le foyer sera errant, les familles se mêleront, les morts seront abandonnés et sans culte. Par le foyer inébranlable et la sépulture permanente, la famille a pris possession du sol ; la terre a été en quelque sorte imbue et pénétrée par la religion du foyer et des ancêtres. Ainsi l’homme des anciens âges fut dispensé de résoudre de trop difficiles problèmes. Sans discussion, sans travail, sans l’ombre d’une hésitation, il arriva d’un seul coup et par la vertu de ses seules croyances à la conception du droit de propriété, de ce droit d’où sort toute civilisation, puisque par lui l’homme améliore la terre et devient lui même meilleur.

Ce ne furent pas les lois qui garantirent d’abord le droit de propriété, ce fut la religion. Chaque domaine était sous les yeux des divinités domestiques qui

  1. Même tradition chez les Étrusques : « Quum Jupiter terram Etririæ sibi vindicavit, constituit jussique metiri campos signarique agros. » Autores rei agrariæ, au fragment qui a pour titre : Idem Vegoiæ Arrunti, édit. Goez.