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fruits de son travail, c’est-à-dire de sa récolte, c’était le contraire chez les Grecs. Dans beaucoup, de villes les citoyens étaient astreints à mettre en commun leurs moissons, ou du moins la plus grande partie, et devaient les consommer en commun ; l’individu n’était donc pas maître du blé qu’il avait récolté ; mais en même temps, par une contradiction bien singulière, il avait la propriété absolue du sol. La terre était à lui plus que la moisson. Il semble que chez les Grecs la conception du droit de propriété ait suivi une marche tout à fait opposée à celle qui paraît naturelle. Elle ne s’est pas appliquée à la moisson d’abord, et au sol ensuite. C’est l’ordre inverse qu’on a suivi.

Il y a trois choses que, dès l’âge le plus ancien, on trouve fondées et solidement établies dans ces sociétés grecques et italiennes : la religion domestique, la famille, le droit de propriété ; trois choses qui ont eu entre elles, à l’origine, un rapport manifeste, et qui paraissent avoir été inséparables.

L’idée de propriété privée était dans la religion même. Chaque famille avait son foyer et ses ancêtres. Ces dieux ne pouvaient être adorés que par elle, ne protégeaient qu’elle ; ils étaient sa propriété.

Or, entre ces dieux et le sol les hommes des anciens âges voyaient un rapport mystérieux. Prenons d’abord le foyer. Cet autel est le symbole de la vie sédentaire ; son nom seul l’indique.[1] Il doit être posé sur le sol ; une fois posé, on ne peut plus le changer de place. Le dieu de la famille veut avoir une demeure fixe ; matériellement, il est difficile de transporter la pierre sur laquelle il brille ; religieusement, cela est plus difficile encore et n’est permis à l’homme que si la dure nécessité le presse, si un ennemi le chasse ou si la terre ne peut pas le

  1. Εστία Ιστημι, stare. Voy. Plutarque, De primo frigido, 21 ; Macrobe, I, 23 ; Ovide, Fast., VI, 299.