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Cette religion ne pouvait se propager que par la génération. Le père, en donnant la vie à son fils, lui donnait en même temps sa croyance, son culte, le droit d’entretenir le foyer, d’offrir le repas funèbre, de prononcer les formules de prière. La génération établissait un lien mystérieux entre l’enfant qui naissait à la vie et tous les dieux de la famille. Ces dieux étaient sa famille même, θεοι έγγενείς ; c’était son sang, θεοι σύναιμοι[1]. L’enfant apportait donc en naissant le droit de les adorer et de leur offrir les sacrifices ; comme aussi, plus tard, quand la mort l’aurait divinisé lui-même, il devait être compté à son tour parmi ces dieux de la famille.

Mais il faut remarquer cette particularité que la religion domestique ne se propageait que de mâle en mâle. Cela tenait sans nul doute à l’idée que les hommes se faisaient de la génération[2]. La croyance des âges primitifs, telle qu’on la trouve dans les Védas et qu’on en voit des vestiges dans tout le droit grec et romain, fut que le pouvoir reproducteur résidait exclusivement dans le père. Le père seul possédait le principe mystérieux de l’être et transmettait l’étincelle de vie. Il est résulté de cette vieille opinion qu’il fut de règle que le culte domestique passât toujours de mâle en mâle, que la femme n’y participât que par l’intermédiaire de son père ou de son mari, et enfin qu’après la mort la femme n’eût pas la même part que l’homme au culte et aux cérémonies du repas funèbre. Il en est résulté encore d’autres conséquences très graves dans le droit privé et dans la constitution de la famille ; nous les verrons plus loin.

  1. Sophocle, Antig., 199 ; Ibid., 659. Rappr. πατρώοι θεοι dans Aristophane, Guêpes, 388 ; Eschyle, Pers., 404 ; Sophocle, Électre, 411 ; θεοι γενέθδιοι, Platon, Lois, V, p. 729 ; Di generis, Ovide, Fast., II.
  2. Les Védas appellent le feu sacré la cause de la postérité masculine. Voyez le Mitakchana, trad. Orianne, p. 139.