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haine ; elle ne fit plus un devoir au citoyen de détester l’étranger ; il fut de son essence, au contraire, de lui enseigner qu’il avait envers l’étranger, envers l’ennemi, des devoirs de justice et même de bienveillance. Les barrières entre les peuples et les races furent ainsi abaissées ; le pomaerium disparut ; Jésus-Christ, dit l’apôtre, a rompu la muraille de séparation et d’inimitié. Il y a plusieurs membres, dit-il encore, mais tous ne font qu’un seul corps. Il n’y a ni gentil, ni Juif ; ni circoncis, ni incirconcis ; ni barbare, ni scythe. Tout le genre humain est ordonné dans l’unité. On enseigna même aux peuples qu’ils descendaient tous d’un même père commun. Avec l’unité de Dieu, l’unité de la race humaine apparut aux esprits ; et ce fut dès lors une nécessité de la religion de défendre à l’homme de haïr les autres hommes.

Pour ce qui est du gouvernement de l’État, on peut dire que le christianisme l’a transformé dans son essence, précisément parce qu’il ne s’en est pas occupé. Dans les vieux âges, la religion et l’État ne faisaient qu’un, chaque peuple adorait son dieu, et chaque dieu gouvernait son peuple ; le même code réglait les relations entre les hommes et les devoirs envers les dieux de la cité. La religion commandait alors à l’État, et lui désignait ses chefs par la voie du sort ou par celle des auspices ; l’État, à son tour intervenait dans le domaine de la conscience et punissait toute infraction aux rites et au culte de la cité. Au lieu de cela, Jésus-Christ enseigne que son empire n’est pas de ce monde. Il sépare la religion du gouvernement. La religion, n’étant plus terrestre, ne se mêle plus que le moins qu’elle peut aux choses de la terre. Jésus-Christ ajoute : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. C’est la première fois que l’on distingue si nettement Dieu de l’État. Car César, à cette époque, était encore le grand pontife, le chef et le principal